Chronique

Mary Halvorson Octet

Away With You

Mary Halvorson (g), Susan Alcorn (psg), Ingrid Laubrock (ts), Jon Irabagon (as), Jonathan Finlayson (tp), Jacob Garchik (tb), John Hébert (b), Ches Smith (dms)

Label / Distribution : Firehouse 12 / Orkhêstra

Lorsqu’en 2013 est paru Illusionary Sea, album en septet de Mary Halvorson, celle-ci estimait qu’elle avait trouvé le format idéal, celui qui lui offrait de répondre à une écriture sophistiquée tout en conservant une certaine agilité et surtout une vraie spontanéité. Elle venait de compléter le quintet qui avait publié Bending Briges en 2012 avec le saxophone ténor d’Ingrid Laubrock, sa complice d’Anti-House, et le tromboniste Jacob Garchik, deux habitués des orchestres braxtonniens. Elle ne le voyait pas s’étoffer plus. Pourtant, tout laissait penser que la mue n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. L’aventure a certes commencé en trio avec le contrebassiste John Hébert et le batteur Ches Smith pour accueillir des compositions numérotées (elles vont désormais de 52 à 59). Mais les lames s’ajoutent au fil des ans. Il n’est donc pas surprenant, à l’écoute de Away With You, d’en découvrir une supplémentaire.

C’est la joueuse de pedal steel guitar Susan Alcorn - figure de l’avant-garde américaine à cheval entre le Free et la musique contemporaine, qu’on a vue autant avec Ellery Eskelin et Joe McPhee qu’avec la compositrice Caroline Kraabel - qui rejoint l’orchestre. Quelques signes laissaient pressentir cette alliance, comme ce concert en duo au Stone, cet été, dont l’environnement se retrouvera dans la lente introduction ténébreuse de « The Absolute Almost ». Les cordes caressées de la pedal steel, soulignées élégamment par l’archet d’Hébert qui vient agglomérer quelques impressions de Louisiane, complètent le son traînant d’Halvorson, et mettent en avant son caractère anguleux. La nouvelle venue libère la guitariste de son coutumier travail de texture et lui permet de se joindre à la mécanique de précision des soufflants dirigés par la trompette de Jonathan Finlayson, attentif et brillant. Le mouvement permanent, qui sait passer de la rigueur de l’engrenage à la fureur de l’opposition entre Ingrid Laubrock et Jon Irabagon, est délimité par la relation Halvorson/Alcorn. Celle-ci est d’abord fusionnelle ; elle s’intègre à un propos pas si éloigné du septet (« Safety Orange »), où le thème circule avec une belle fluidité pour créer une multitude de cycles. Ils se croisent avec limpidité tout en se heurtant de manière sporadique. L’octet évolue sur un axe qui se situe entre décentrement sur la masse orchestrale du big band (« Fog Bank ») et recentrement sur les rapports duaux qui sont la base de son écriture. L’écriture de la guitariste permet des allers-retours constants entre ces deux points.La coalition Laubrock/Smith illumine par exemple « Sword Barrel », mais existe ainsi une infinité de scénarios, sans risque de redites, où chaque soliste dispose d’un espace supplémentaire.

Away With You représente indéniablement un pas gigantesque dans le parcours musical déjà hors norme de Mary Halvorson. Le soin apporté à l’arrangement et à la mélodie, qui saisit dès « Spirit Splitter », n’est pas simplement enthousiasmant, c’est la marque que la guitariste s’est approprié les codes du grand format. Il n’empêche nullement la déconstruction chère à son jeu serpentin, qui peut même tendre vers une énergie empreinte de rock lorsque le trio de base se place en pointe. Mais l’écriture pour les autres, qui repose de plus en plus sur la complémentarité des timbres, s’est affinée. Tout indique que Meltframe, l’album solo de Mary Halvorson paru l’année dernière, a fini de libérer une parole qui ne doit désormais plus se contenir. Il semble que ceci soit sans limite ; nous sommes tout ouïe.