Chronique

Columbia Icefield

Ancien Songs of Burlap Heroes

Nate Wooley (tp, fx), Mary Halvorson (g), Susan Alcorn (pedal g), Ryan Sawyer (dms) + Mat Maneri (vla), Trevor Dunn (b)

Label / Distribution : Pyroclastic Records

Une voiture passe, lointaine, à moins qu’il ne s’agisse d’un train. On ferme les yeux, les oiseaux gazouillent timidement : une forêt au petit matin. La pluie. Quelque chose comme un printemps précoce. Peu de musiciens autant que le trompettiste Nate Wooley savent transporter l’auditeur dans une atmosphère aussi tangible qu’elle est fictionnelle. C’était une expérience qu’il avait menée il y a quelques années pour son disque Columbia Icefield avec une équipe prestigieuse, dont Mary Halvorson et Susan Alcorn. Le titre de l’album est devenu le nom du quartet ; voici donc que les désormais Columbia Icefield reviennent avec Ancien Songs of Burlap Heroes, disque qui s’envisage peut-être davantage que le premier comme un trip, dans tous les sens du mot anglais : du voyage à la divagation.
 
Ici, les cordes allongent le temps dans le très contemplatif « I’m The Sea That Sings of Dust" où s’invite Mat Maneri. On pourrait croire que le brouillard qui se lève n’est qu’un tissu d’électronique ; c’est une discussion nébuleuse entre la batterie de Ryan Sawyer et la trompette de Wooley. Presque naturellement, alors que l’atmosphère se réchauffe, les brumes se dissipent. La musique du quartet augmenté est comme une fièvre lancinante, entre coup de chaleur fulgurant et lente ataraxie, où Halvorson, dans les stridences lointaines de Maneri, fait un travail remarquable. Halvorson et Wooley se connaissent bien, et l’on sait depuis Crackleknob que ces espaces parfois hostiles sont des sujets dont ils savent s’emparer. Loin des déserts et des canyons, la place est plutôt ici à une forme de luxuriance, une forêt primaire.
 
C’est presque ce qui s’échappe de la ligne de basse insistante de Trevor Dunn, autre invité, sur le beau « A Catastrophic Legend », au centre de l’album. Ici, la distorsion des cordes agit comme un psychotrope malsain, jusqu’à ce que Nate Wooley ne vienne remettre de l’ordre par le chant clair de sa trompette. Chaque prise de parole du soufflant et de son batteur est comme une clairière nouvelle, un espace à l’horizon plus large où tout semble moins oppressant. Ce n’est pas pour autant que l’orchestre demande à bivouaquer : toujours en mouvement à l’appel d’Alcorn et d’Halvorson, la marche continue vers un but plus ou moins mystérieux, dans un froid saisissant qui n’empêche pas la sève de monter. Une musique proposée par le label Pyroclastic Records dans lequel il fait bon s’abandonner.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 avril 2023
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