Chronique

Sylvain Darrifourcq In Love With

Coïtus Interruptus

Valentin Ceccaldi (cello), Théo Ceccaldi (vln), Sylvain Darrifourcq (dms, zither, objets)

Label / Distribution : Gigantonium

Les musiciens qui ont un vrai univers et savent en jouir de manière inventive ne sont pas légion. Ceux capables d’y accueillir d’autres artistes sans jamais se répéter ou se travestir constituent un raffinement supplémentaire. On compte sur les doigts d’une main (et peut-être est-ce la gauche de Django Reinhardt) les artistes qui, forts de tout cela, arrivent à s’enthousiasmer encore et encore des sentiers qu’ils défrichent avec un naturel désarmant. Le batteur Sylvain Darrifourcq coche toutes ces cases, ce que sa dernière aventure avec les frères Valentin et Théo Ceccaldi, dont il est In Love With ne manquera pas de confirmer. En 2016, les épousailles du trio conclurent avec un Axel Erotic des prouesses très maîtrisées. Au premier abord, les escapades de Coïtus Interruptus n’ont pas la même grâce  : courtes, parfois violentes et extatiques lorsqu’elles peinent à dépasser la minute (« Con Chota Sin Chota » où les frangins sont aussi rythmiciens que les courtes mictions de la batterie). Ne nous y trompons pas, il y a dans cet album paru chez Gigantonium deux parades amoureuses incontournables : le désir et l’immédiateté.

L’exercice auquel se livrent les trois artistes nécessite une incroyable coordination et une véritable complicité. Si elle est évidente entre les deux Ceccaldi, comme on peut le constater sur l’ardent « Repeat Again » où les cordes s’échappent, tels des shrapnels, de la déflagration de la batterie, elle est le fruit d’un vrai travail d’écoute de la part de Darrifourcq qui conserve toujours intacte la structure rythmique. On pense, notamment dans « Big Wall » qui apparaît faussement dans ses premières secondes comme une petite plage de répit dans le trépidant chaos, à ce que Valentin Ceccaldi et le percussionniste avaient pu échafauder dans le MilesDavisQuintet !. Mais ici, dans les roulements saccadés zébrés d’archet, il y a quelque chose de bien plus violent ; ce n’est pas lié à la rapidité, pourtant omniprésente, mais à des formes rustiques, primales, proches de la griffure ou du déchirement qui rajoute singulièrement une dimension charnelle. Il s’agit d’un corps-à-corps, parfois brutal, à l’image de « Sometimes a Great Notion » qui canalise en un mouvement quasi répétitif tout un faisceau de lignes brisées qui nous propulsent dans l’univers où le triolisme est la norme.

Pour cet album, Darrifourcq évoque une certaine inclination pour la littérature. Le poème - qu’on subodore en écriture automatique - en guise de notes de pochette en témoigne. Mais sous la ronde de métronomes qui sert d’illustration, symbole d’un rythme impassible mais loin d’être impavide, ce sont des pages du Bruit et la Fureur qu’on découvre. Évidemment, le titre pourrait dire tout de la musique ; mais rien n’est simple, surtout lorsque les mots ne suffisent pas. C’est bien de l’auteur américain qu’il s’agit, plus que de ce livre en particulier : une musicalité sèche, réduite à l’essentiel, sans joliesse mais avec un mouvement d’une précision acérée. « L’amour c’est comme la foudre, on n’en est nulle part à l’abri » écrivait Faulkner dans ses Aphorismes. Darrifourcq et les Ceccaldi ont de la foudre à revendre : ce Coïtus Interruptus, malgré son format court, n’a rien de frustrant. Il est au contraire bien exaltant. Comme une gifle opportune.

par Franpi Barriaux // Publié le 18 novembre 2018
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