Chronique

Terzic /Graupe / Dumoulin / Weidner

Melanoia

Dejan Terzic (dms, objets), Ronny Graupe (g), Jozef Dumoulin (cla), Christian Weidner (as),

Label / Distribution : BMC Records

Depuis la dernière apparition de Melanoïa sur disque, dans un attelage enthousiasmant avec le quatuor IXI et la grande Luzia von Wyl, il y a eu du chambardement. Le personnel a changé, même si c’est toujours le batteur Dejan Terzic qui tient la maison. On s’en aperçoit dans l’intense « Mpo-3 », où son drumming si particulier, ouvert et très musical, du genre à aimer s’exprimer au glockenspiel, laisse la place à de nouveau instruments, et notamment le Rhodes de Jozef Dumoulin. La rencontre de Dumoulin avec Terzic, et a fortiori avec le guitariste Ronny Graupe, paraissait évidente ; elle est naturelle. Entre deux onirismes un peu fiévreux, au sein d’imaginaires gémellaires, nul doute que ces musiciens avaient des choses à dire et des histoires à raconter, comme cette « Gravity » qui évoque une chute vertigineuse mais sans dommage, comme on en a parfois la sensation au seuil de l’endormissement. Jozef Dumoulin n’est pas le seul nouveau dans l’histoire : le saxophoniste Christian Weidner, déjà aperçu avec Sascha Henkel, est un formidable point d’ancrage pour toutes les narrations.

On l’apprend dans les notes de pochette de cet album paru chez Budapest Music Center : Melanoïa est l’enclise de Mélancolie et Paranoïa. Des sentiments subjectifs qui éclairent d’une lumière diffuse et parfois irrespirable cette musique particulièrement écrite, presque antagoniste avec d’autres projets de Graupe ou avec la lumière vive de RED. « New Coalescence » en est un exemple évocateur, qui commence d’abord doucement, avec quiétude, dans l’alto de Weidner. Lorsque le piano de Dumoulin le double dans une sorte d’écho troublant, la tension monte. Melanoïa est une pression insatiable qui grimpe imperceptiblement. D’abord dans une guitare tendue qui contient une batterie erratique. Cela donne des motifs répétitifs, parfois de guingois, qui déstabilisent tout en conservant une ligne idéalement tendue qui ne demande cependant qu’à se briser. Une marque de fabrique que l’on trouvait déjà dans « Schnell » en ouverture d’album.

Peut-on faire plus européen que cet orchestre-là ? Terzic est un Serbe vivant en Allemagne et enseignant en Suisse. Dumoulin est belge mais fait une grande partie de sa carrière en France. Weidner est allemand comme Graupe, mais ce dernier joue un peu partout et notamment avec les frères Ceccaldi. La musique de Melanoïa est à cette image : libre, irrévérencieuse parfois (« Trainride ») mais diablement ouverte et qui ne renie pas certains retours à la musique écrite occidentale. Avec ce nouvel album, Terzic et Graupe écrivent une riche page de leur orchestre, assez éloigné finalement des débuts, alors qu’il semblait incarner le son de la scène berlinoise. Ce quartet voit plus loin et parvient à casser l’image du Melanoïa d’avant RED. Il nous tarde déjà de savoir ce que sera la suite.