Chronique

Thibault Walter Trio

Le Seul Snob

Thibault Walter (cla), Jean-Luc Ponthieux (b), Pablo Cueco (perc)

Label / Distribution : Inouïe Distribution

Il y a dans Le Seul Snob, premier album du trio de Thibault Walter, comme un culte du jeu ; en collectif d’abord, avec l’interplay revendiqué qui l’allie à la contrebasse indocile de Jean-Luc Ponthieux : le pianiste électrique, qui prépare son piano à force de petits objets de passage, est très sensible au cadre que propose le contrebassiste. Sur « L’Arme outrancière », on goûte à la complicité qui unit les deux musiciens. Les pizzicati de Ponthieux viennent ancrer le timbre de Walter qui sait aussi bien faire fi des claviers bien tempérés que des climats bien tempérants ; on peut même dire, dans cette musique prise à bras-le-corps, que la présence de Pablo Cueco au zarb pour fermer le triangle est une célébration de ce ternaire amour qui navigue dans tout le morceau. Auteur de tous les titres à l’exception de « India » de Coltrane, Walter offre d’ailleurs de très belles lumières à ses compagnons, à l’instar de « Âpre énigme », qui offre une très belle ouverture à la contrebasse.
 
Il y a beaucoup de plaisir et quelques pièges malicieux dans cette musique qui ne se laisse jamais enfermer, comme ce très beau « Remontage caduc » qui offre toutes sortes de possibilités dans les accords augmentés. Un morceau où Cueco s’épanche en une floraison de rythmes, et se perd parfois, le temps d’un tintement, dans les méandres du jeu de Walter qui fera songer, çà et là, à Benoît Delbecq dans son approche presque physique du son. On le retrouve aussi dans « Pagnol Dégraisse », sous une forme plus heurtée mais sensuelle cependant, tant il y a de douceur et de connivence entre les artistes. Un goût du jeu et de la théâtralité, on y revient toujours.

Le jeu ici n’est pas que musical, ce qui n’est guère surprenant lorsque Pablo Cueco est dans les parages. Le Seul Snob est aussi une facétie de lettres qui emprunte aux anagrammes les titres de morceaux. Ce réflexe oulipien n’est pas simplement là pour le décor : Walter et ses compagnons se jouent des mots comme des notes, en revenant à la racine, en construisant des réalités alternatives qui stimulent l’imagination. La musique jouée dans « Le Seul Snob » est conçue en plantant fermement ses deux pieds dans le jazz, mais n’hésite pas pourtant à laisser sa tête errer dans les nuages de l’improvisation européenne. C’est sans doute pour cela qu’entre Le Seul Snob et Le Son blueS, il n’y absolument pas à choisir.