Thierry Eliez
Emerson Enigma
Thierry Eliez (p, voc), Ceilin Poggi (voc), Johan Renard (vln), Nguyen Khoa-Nam (vln), Julia Macarez (alto), Guillaume Latil (cello).
Label / Distribution : Dood
Thierry Eliez, claviériste de Magma depuis bientôt trois ans (une fonction qu’il partage avec Simon Goubert), mais pas seulement [1], celui-là même qui a tout récemment déposé dans la corbeille du nouveau disque de la bande à Christian Vander, Kãrtëhl, un « Walömëhndëm Warreï » aux accents opératiques de très belle facture, et quelque temps auparavant publié un disque célébrant le travail commun entre Michel Legrand et Claude Nougaro, prend le risque - parce qu’il faut oser s’attaquer à cette drôle de montagne parfois décriée - de célébrer la musique de Keith Emerson, cet univers multicolore qui a fait vibrer son adolescence avant qu’il ne finisse, bien plus tard, par nouer des liens d’amitié avec son idole en personne.
Aussitôt, ce sont de vieux souvenirs qui refont surface, du moins pour ceux qui sont suffisamment avancés en âge pour les avoir vécus… The Nice, Emerson, Lake & Palmer. Keith Emerson, un personnage hors normes avec sa débauche d’instruments sur scène et sur disque, une virtuosité aux limites du clinquant mais d’une précision époustouflante, un démiurge des claviers menant un trio lui-même né d’histoires musicales encore vivaces (Greg Lake transfuge de King Crimson, Carl Palmer en provenance d’Atomic Rooster). Évitant de tomber dans le piège de la surenchère tant technique que pianistique, celui qui fut notamment le compagnon de route de Didier Lockwood a choisi de parer le répertoire de son musicien fétiche de couleurs résolument classiques en écrivant des arrangements pour piano et quatuor à cordes (le Quatuor Manticore, les spécialistes comprendront l’origine de cette appellation…). Comme s’il s’agissait pour lui de hisser Keith Emerson au rang des compositeurs classiques que ce dernier révérait. Et pour mieux composer le menu de son Emerson Enigma, Thierry Eliez prend un malin plaisir à échafauder de nouvelles suites en associant des compositions à l’origine distinctes. Les connaisseurs sauront que le pianiste a beaucoup puisé dans les premiers albums studio d’EL&P, qui en sont la quintessence : Emerson, Lake & Palmer (1970), Tarkus (1971), Trilogy (1972) et Brain Salad Surgery (1973).
Au bout du compte, c’est un jeu de piste auquel s’adonneront avec beaucoup de jubilation celles et ceux qui connaissent la discographie du groupe sur le bout des doigts. Les autres y trouveront la porte d’entrée d’un univers - qu’il est d’usage de qualifier de rock progressif, avec ses nombreuses références classiques : Bach, Mussorgsky, Bartók, Janáček, Copland… - qu’on peut toujours explorer, aujourd’hui encore. Et parce qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même, Thierry Eliez chante aussi (un sacré défi que de se glisser dans les pas de Greg Lake, sans doute l’une des plus belles voix de l’histoire du rock), seul ou en compagnie de sa chère Ceilin Poggi. Ce disque singulier est un dictionnaire amoureux de Keith Emerson imaginé par un fan de la (presque) première heure et qui est lui-même un musicien hors normes.
Une énigme sans fin [2], on le comprend, une version toute particulière du « French Keith »…Plaisir garanti !