Chronique

Laurent David

Naked

Laurent David (elb).

Label / Distribution : Durance Solo / Absilone

Naked est l’occasion de revenir une fois encore – et non sans un vrai plaisir – à Laurent David, dont l’actualité témoigne de la diversité des inspirations. Depuis quelques années en effet, le bassiste ne cesse d’affirmer une présence forte sur la scène jazz et même au-delà. On pourra rappeler en quelques mots sa présence aux côtés d’Ibrahim Maalouf période Illusions, puis au sein de l’Electric Epic de Guillaume Perret. Dire aussi la curiosité qu’avait suscité Excursus et son travail avec la chanteuse Laurence Malherbe pour une relecture « gothique » du Voyage d’Hiver de Franz Schubert. Il faut aussi mentionner le trio M&T@L et ses deux albums rageurs IK et Hurlant (amateurs de jeux de mots, régalez-vous…), un petit concentré d’énergie concocté avec la complicité du saxophoniste Thomas Puybasset et du batteur Maxime Zampieri. Plus près de nous encore, et en pleine activité, on a repéré le quartet Shijin au sein duquel Laurent David retrouve deux musiciens qu’il connaît bien : le pianiste Malcolm Braff et le batteur Stéphane Galland, et fait entrer dans sa danse le saxophoniste Jacques Schwarz-Bart. Le disque éponyme de cette formation témoigne du « plaisir de donner forme à une musique sans barrières stylistiques, dont la puissance est toujours mêlée de légèreté mélodique ». Diversité encore avec le projet Darkmatters mené aux côtés de la chanteuse compositrice Andromeda Anarchia : ici se mêlent influences jazz, grunge, métal et musique prospective. Et pour en savoir plus, on pourra faire un tour du côté de la petite entreprise Alter-Nativ, son label faisant office de reflet d’une activité qui semble ne pas connaître de pause.

Mais cette fois, il s’agit d’autre chose, même s’il s’agit bien de la même histoire musicale (et humaine). Laurent David prend le risque d’avancer seul, délaissant pour cela tous les effets sonores auxquels il n’a jamais manqué de recourir, lui l’agenceur sonore à l’imagination fertile. Car Naked est un rendez-vous avec lui-même et sa basse, et c’est déjà beaucoup. Une basse nue, comme le titre le signifie. Ce disque est par ailleurs le premier volume d’une collection d’enregistrements en solo imaginée par Alain Soler sur son label Durance, qu’on suivra avec intérêt.

On pourrait suspecter une tentation narcissique, craindre une démonstration un poil désincarnée, redouter des longueurs… La faute sans doute à cet instrument ombrageux, rarement exposé en pleine lumière, auquel quelques maîtres ont su toutefois donner des lettres de noblesse. Qu’on soit rassuré : Naked – disponible en CD et en vinyle – dissipe ces craintes en 37 minutes et 10 brèves compositions, pour la plupart originales (« Groovin’ High » de Dizzy Gillespie et « Lonnie’s Lament » de John Coltrane viennent néanmoins s’immiscer au cœur du répertoire).

On pourrait souligner l’exécution au cordeau qui vient rappeler la formation classique sous-jacente du bassiste (« The Invisible Hand », « Escalator to Hell »), souligner aussi ses qualités d’improvisateur et de metteur en sons (« Back-Scratcher » et tant de choses dites en à peine plus de 2 minutes), (re)découvrir les possibilités de l’instrument mises en évidence par l’exercice en solitaire (« Funny Introduction », par exemple, avec sa succession de climats).

On pourrait, oui, car tout cela est avéré au fil des minutes. Pourtant, c’est d’abord la sensibilité - dont la technique irréprochable de Laurent David est la plus fidèle alliée - qu’on a envie de souligner. Le repos, actif toutefois, du guerrier musicien en quelque sorte, comparé aux habituelles forces électriques en présence chez lui, et au bout du compte un acte d’humilité. Il n’est jamais facile en effet de s’exposer sans artifices, mais le bassiste surmonte les potentiels obstacles de la traversée en solitaire, pour ne conserver que l’essence de ce qui le fait avancer depuis longtemps. Sa basse s’offre comme une source mélodique, alliant douceur et gravité ; elle chante dans la sérénité et délivre son groove au creux de l’oreille (« Groovin’ High »). Au bout du compte, c’est le sentiment d’une balade qui prédomine, d’une déambulation en bonne compagnie dont « Rebel by Nature », « Lonnie’s Lament », « Big Foot », « Waltz 4 Me » ou « Mesentropie » sont de parfaites illustrations. C’est l’itinérance vagabonde d’un musicien qui joue cartes sur table, dans le partage au plus près de ses émotions. Et dont l’instrument fétiche, toute basse qu’il soit, est d’abord une guitare, avec ses accords, ses arpèges, ses notes qui filent au bout des doigts. Une guitare nue, qui ose se confier.