Chronique

Thierry Maillard

The Kingdom of Arwen

Thierry Maillard (p, comp, arr), Dominique Di Piazza (elb), Yoann Schmidt (dms), Orch. Philar. de Prague + invités

Label / Distribution : Naive

Ce n’est pas la première fois qu’il pleut des cordes sur la musique de Thierry Maillard. A plusieurs reprises déjà, le pianiste a su marier la musique de son trio à une orchestration d’inspiration classique, en recourant à un quatuor à cordes sur trois de ses précédents albums : New Septet (2000), Vision (2002), Notre histoire (2008) ; ou à un orchestre de chambre associé à des musiques du monde (The Alchemist en 2014). Mais à l’évidence, notre homme voyait plus grand. Ce musicien, formé à l’école du classique, lancé ensuite dans le grand bain du jazz (où il côtoiera entre autres Bireli Lagrène, Michel Portal, Bernard Lubat, Didier Lockwood, …), amoureux des œuvres de Bartok, Stravinski ou Webern, est un compositeur habité par l’idée que toutes les musiques – classique, rock, jazz, … – sont sœurs et peuvent fusionner pour aboutir à une expression sublimée qui serait universelle. Ce rêve un peu fou, celui d’une union sacrée entre son trio, un orchestre symphonique et d’autres instruments venus d’horizons plus lointains, est devenu réalité avec son douzième disque, The Kingdom Of Arwen, dont le titre fait sans nul doute référence à la Reine des elfes et des hommes en Terre du Milieu dans Le Seigneur des Anneaux de JRR Tolkien. On pressent très vite qu’il sera question de voyages…

L’exercice est complexe, pour ne pas dire périlleux, qui consiste à tenter de concilier l’énergie concentrée d’un trio et le souffle d’un orchestre symphonique, en l’occurrence celui de Prague. D’autres avant Thierry Maillard s’y sont cassé les dents… Le risque était d’autant plus grand que Dominique Di Piazza – qu’on est toujours heureux de retrouver, souvenons-nous des grandes heures du trio de John McLaughlin au début des années 90 – et Yoann Schmidt fourbissent une rythmique puissante, d’inspiration jazz rock, qui suffit amplement à propulser la musique du pianiste à haute altitude (écoutez « Trait d’union » pour vous en convaincre). Ces trois-là s’y entendent pour aller de l’avant, ils n’ont besoin de personne pour que tout finisse en danses étourdissantes (« Le monde des elfes » ou « Ethnic Song » sont d’autres exemples très convaincants) ou en ballades oniriques. Leurs tourneries entêtantes racontent des histoires enchantées où il est question de royaumes, d’elfes, de hautes plaines ou d’un mystérieux « entre silence ». Les couleurs des compositions sont rehaussées ça et là par la présence de plusieurs invités dont les interventions allient justesse et concision. Ainsi les percussions de Minino Garay (« L’entre silence »), le whistle de Neil Gertsenberg et le doudouk de Didier Malherbe (« The Kingdom Of Arwen ») font souffler sur les paysages composés par Thierry Maillard une brise pacifique qui peut entraîner chacun d’entre nous vers le pays des rêves. On peut aussi être happé par des instants de magie, comme le chorus ensorcelant de Nguyên Lê dont la guitare sur « Zappa » est rien moins que stratosphérique. Probablement l’un des points culminants de l’album, qui renvoie aux grandes heures du rock progressif et à ses envolées planantes (on pense à ce moment à la Clearlight Symphony de Cyrille Verdeaux). Quant à l’Orchestre Symphonique de Prague, enregistré dans un second temps, il faut le considérer avant tout comme un catalyseur, au sens où s’il n’est pas la source de la musique, il intervient pour en modifier la nature, lui donner toute l’amplitude nécessaire à l’accomplissement d’un grand spectacle. Avec lui, The Kingdom Of Arwen devient comme la bande-son d’un film enchanté ; le déphasage temporel, qui aurait pu rendre bancale l’association entre l’ensemble des protagonistes de l’album, est effacé au profit d’une alliance dont les intonations sont résolument heureuses.

En près de 80 minutes, Thierry Maillard parcourt mille paysages, raconte de belles histoires, oniriques pour la plupart, et réussit à démontrer par son enthousiasme partagé que notre monde peut aussi être une source de beautés. The Kingdom Of Arwen est un disque dédié aux utopies, à tous ces rêves qui n’ont plus vraiment cours aujourd’hui. Peut-être s’adresse-t-il d’abord aux enfants, petits et grands, que nous ne devrions jamais cesser d’être.

par Denis Desassis // Publié le 13 décembre 2015
P.-S. :

Thierry Maillard (p, comp, arr), Dominique Di Piazza (elb), Yoann Schmidt (dms), Orchestre Philarmonique de Prague + invités : Didier Malherbe (doudouk), Minino Garay (perc), Nguyên Lê (g), Olivia Gay (cello), Marta Kloickova (voc), Neil Gerstenberg (whistle), Taylan Arikan (baglama).