Thierry Maillard n’aime rien tant que varier les formules et multiplier les angles : qu’il travaille en trio (Il Canto Delle Montagne), en solo (Alone) ou en formation élargie (The Kingdom Of Arwen), son appétit de musique est le même. L’homme est passionné, le musicien insatiable. Petit à petit, au fil des années, on devinait chez lui l’idée d’un projet un peu plus fou que les précédents.
Et voici que le pianiste met au jour ce qui, sans nul doute, est pour lui une forme d’accomplissement dans l’exaltation. Avec Pursuit Of Happiness, le compositeur réunit une dream team en appelant à ses côtés un formidable big band composé d’une quinzaine de musiciens de très haut vol. Voilà bien un pari alchimique risqué (car il ne suffit pas d’assembler pour faire naître une forme), une mise en commun des énergies où l’humilité compte autant que l’exposition et un répertoire d’une grande densité, dont les couleurs chatoyantes sont source de ravissement. Oui, il y a dans cette équipe du très beau monde, autant de musiciens ayant accepté de mettre leur talent au service d’un collectif et dont la parole n’est jamais bavardage. Thierry Maillard a su dépasser les barrières stylistiques en plongeant jusqu’à l’ivresse dans la grande marmite de ses influences, là où le romantisme de la musique classique tient une place aussi importante que la musique sérielle ou la puissance et le groove du jazz tout au long des pages de son histoire.
Pursuit Of Happiness, enregistré au mois d’août 2017 dans un cadre enchanteur du côté des Cévennes, n’a pas été victime d’un vilain coup de chaleur. Bien au contraire, il ruisselle du début à la fin d’une joie profonde et ample de jouer ensemble et ce qui, à première vue, paraissait relever de l’évidence – le titre du disque annonce la couleur – est ici un facteur de multiplication des plaisirs. Poussée par une rythmique nerveuse à souhait parfumée au jazz rock (Hadrien Féraud à la basse et Yoann Schmidt à la batterie), l’escouade des soufflants s’en donne à cœur joie, déjouant tous les pièges de compositions complexes et sinueuses pour mieux mettre en lumière le jeu solaire du pianiste. Prenez une longue composition telle que « Hurricane » pour comprendre la formidable machine qui se met en branle jusqu’à vous donner le tournis. Encore n’est-ce là qu’un exemple, car chacun des titres pourrait être cité comme témoignage de cette ébullition contagieuse. Et s’il serait un peu fastidieux de citer tous les protagonistes de cette quête du bonheur, qui le mériteraient pourtant, il faut souligner le caractère naturel de leur association, qui n’allait pas de soi au vu du pédigrée hors normes de quelques-uns d’entre eux, Médéric Collignon en tête. Tous sont à l’œuvre sans distinction de rang, chacun d’entre eux vibre au plus près de l’esprit d’un projet intrinsèquement collectif imaginé par un Thierry Maillard en état de grâce. Et comme on peut s’en douter, chaque intervention des solistes est frappée au coin d’une virtuosité jamais démonstrative.
On n’ira pas par quatre chemins : Pursuit Of Happiness est un magnifique disque de jazz d’aujourd’hui, il est sans hésitation la plus belle réussite de celui dont on ne peut que louer la capacité à avoir su prendre le temps d’avancer sur le chemin de ses rêves. Chemin au bout duquel il est loin d’être parvenu, même si l’un des plus belles compositions de l’album s’intitule « The Dream Is Over ».
P.S. l’orchestre est composé de :
Stéphane Chausse (as, cl, clb), Médéric Collignon (cornet, voc), Claude Egea (tp, bugle), David Enhco (tp, bugle), Hadrien Féraud (elb), Stéphane Guillaume (ss, ts, fl, cl), Didier Havet (tuba, tb), Ludivine Issambourg (fl), Sébastien Llado (tb), Thierry Maillard (p, comp), Lucas Saint Cricq (bs, ts, ss), Yoann Schmidt (dms), Samy Thiébault (fl, ts, as), Daniel Zimmermann (tb), Christophe Zoogonès (fl).