Chronique

Threadbare

Silver Dollar

Jason Stein (bcl), Ben Cruz (g), Emerson Hunton (dms)

Label / Distribution : NoBusiness Records

Originaire de Washington et basé à Chicago, le clarinettiste Jason Stein accuse un bagage aussi solide que pimpant, estampillé notamment chez Northern Spy, Clean Feed ou comme ici chez NoBusiness Records. On a pu l’écouter au sein du sextet de Boris Hauf, aux côtés d’Ivo Perelman et Rudi Mahall, de Mike Reed, ou dans son Locksmith Isidore avec Jason Roebke et le redoutable Mike Pride. Mais la liste serait bien trop longue si elle se voulait exhaustive.

Cette fois, on le retrouve dans un trio initié par le batteur Emerson Hunton et le guitariste Ben Cruz. Membres d’un autre trio de pop indus nommé Moontype, les deux jeunes musiciens ont composé l’intégralité des morceaux de Silver Dollar, soit ensemble, soit séparément. On est à des années lumières de Moontype, et pourtant, cette mise en orbite inopinée pourrait difficilement mieux fonctionner. Souvent comparé à Eric Dolphy ou Steve Lacy, Jason Stein est un musicien rare, capable d’extraire des sons religieusement apocryphes de sa clarinette basse. Il trouve en Hunton et Cruz deux compagnons de taille pour partir sur des terrains musicaux rarement foulés avec autant d’aisance et de cohésion.

Marqué de la griffe flagrante d’un post-rock prodigue, qui ne doit pas tout à la guitare saturée de Ben Cruz, Silver Dollar développe un free-jazz à grand écart, qui essaime son spiritual jazz sur le sol aride du doom. Mais là où Jamie Saft avait habilement trouvé la recette d’un Jazz Doom [1] sombre et mélancolique avec Swami Lateplate, Threadbare s’empare de la fougue de Black Sabbath, et n’a pas peur d’emprunter les chemins plus boueux. Le titre éponyme nous plonge en plein stoner grognon, une sorte de sludge virtuose. Et ça, il fallait l’inventer.

Le trio ne cesse de nous emporter dans la clarté de cette musique qu’il maintient même lorsqu’il secoue son jouet dans un joyeux foutoir. Si bien que même quand le chaos s’installe - et il n’est pas timide - le propos n’est jamais confus. On ne taxera pas ce free-jazz là d’élitisme sans être malhonnête. Une telle connivence dans l’improvisation est rare, les trois musiciens semblent connectés, comme traversés d’un même esprit. Threadbare est incontestablement un coup de maître, en l’occurrence de disciples qui ont trouvé à la fois leur maître et leur égal.

par Raphaël Benoit // Publié le 5 juillet 2020
P.-S. :

[1Paru en 2007 chez Veal Records, le label du new-yorkais.