Chronique

Ivo Perelman & Jason Stein, Rudi Mahall

Kindred Spirits & Spiritual Prayers

Ivo Perelman (ts), Jason Stein (bcl, cd1), Rudi Mahall (bcl cd 2 et 3)

Label / Distribution : Leo Records/Orkhêstra

Enregistreur infatigable, le saxophoniste d’origine brésilienne Ivo Perelman propose régulièrement des albums sur le label Leo Records, et il est fort rare que ceux-ci arrivent esseulés. Après un travail au long cours avec le pianiste Matthew Shipp, dont il est très proche, le voici qui part à la rencontre de deux clarinettistes basses parmi les plus talentueux du moment de chaque côté de l’Atlantique. Des approches différentes avec l’Allemand Rudi Mahall et le Chicagoan Jason Stein, comme un tour d’horizon de la relation duale entre saxophone ténor et clarinette basse où le spirituel n’est pas absent : Kindred Spirits est un double album avec Mahall. Spiritual Prayers est un échange court et plus pacifié avec Stein, qu’il fréquente assidument.

Deux disques avec Rudi Mahall, c’est ce qu’il faut sans doute pour défricher tout ce que les improvisateurs ont à se dire. L’habituel compagnon d’Alexander von Schlippenbach aborde sa rencontre avec Perelman avec une nervosité peu commune. Il y a de la surenchère dans la « Part 2 » du premier disque, du corps-à-corps, des slaps de rupture et une volonté de cantonner le ténor dans le plus haut du spectre. Mahall est vindicatif, bagarreur, mais son vis-à-vis ne s’en laisse pas conter. Chacun se partage un canal et, pour peu qu’on écoute au casque, on ressent tout de suite la puissance de l’algarade. C’est à la fin du second disque que les choses se calment, comme la tentative d’osmose d’un mélange hétérogène. Il faut se méfier ; en général c’est le moment où les chimies instables en profitent pour s’enflammer.

Jason Stein fait partie de cette génération, avec Roebke ou Rosaly, qui s’est réapproprié le son de Chicago. Une façon d’envisager les musiques improvisées qui sied à Perelman. Dans un échange exclusif en 8 parties, les musiciens ne passent d’ailleurs que très peu de temps à se chercher et agissent même à l’unisson (« Part 5 »). Ils ne se heurtent guère l’un à l’autre, préférant jouer dans des registres différents et s’entraînant parfois dans une même direction. A l’image de « Part 6 », le souffle de Stein est constant et très égalitaire avec le ténor. Il y a comme un jeu d’évitement qui donne une sensation de grande liberté. Parfois cependant, notamment lorsque Perelman se met à jouer plus rapidement, la clarinette se met à enchaîner les circonvolutions, vers un jeu plus heurté. Réaction en chaîne : lorsque cela arrive, Perelman se décentre et part lui aussi dans des chemins plus chaotiques. Deux papillons qui batifolent et une belle image de la liberté.