Chronique

Tony Hymas

Joue Léo Ferré

Tony Hymas (p)

Label / Distribution : Nato

Que reste-t-il aujourd’hui de Léo Ferré ? La statue de commandeur auréolée d’une crinière blanche, le poète et anarchiste autoproclamé semblent avoir occulté le chanteur et compositeur. Pourtant une fois balayée cette image non dénuée de fondement mais envahissante, demeure une œuvre d’importance qui brille par sa cohérence et de laquelle se détachent des pièces célèbres. C’est principalement à travers celles-là que le pianiste Tony Hymas a décidé de construire son hommage.

Donnant suite à ses Chroniques de résistance (2014 chez nato, Elu Citizen Jazz) et à Blue Door (2012, nato toujours) qui s’ouvrait déjà avec une interprétation solo d’”Avec le temps”, l’Anglais, seul au piano, replonge dans une époque où les chanteurs se sentaient autorisés à dire le monde. Pourtant, même si le Ferré en colère est évidemment présent, il est dessiné avec la mélancolie et la nostalgie que la plupart des titres transportent avec eux. L’absence de texte, d’ailleurs, met en valeur la sensibilité des mélodies ; d’autant mieux que les arrangements subtils s’attachent à conserver la construction initiale des morceaux.

Car Hymas fait très peu de jazz ici. Peu ou pas d’improvisations perceptibles et encore moins de déconstruction. Sans être servilement respectueux pour autant, il joue avec, rarement contre. Sa science musicale et les potentialités du piano s’autorisent quelques décalages (légère accélération de tempo, motifs qui créent du contraste, grands aplats) et donnent un tour personnel à des morceaux agencés en forme de récital.

Dès lors, on se promène dans un paysage changeant où les zones ensoleillées (“C’est extra”, le sarcastique “Jolie môme”) ou apaisées (“Le pont Mirabeau”) côtoient des territoires en clair-obscur et véhéments (“L’affiche rouge” ou “L’oppression”). Peu à peu, le pianiste finit par quitter les airs chantants rentrés dans la mémoire collective pour faire de chaque chanson une œuvre en soi et aborder les profondeurs d’une écriture à laquelle Ferré était très attaché. Les impétuosités de “Thank You Satan” ou ”Est-ce ainsi que les hommes vivent ?” s’apparentent alors à de petites pièces romantiques du XIXe siècle ou du début XXe siècle.

Ce n’est d’ailleurs pas la moindre force de ce disque que de montrer le lien indéfectible qui relie la mélodie aux couleurs et dynamiques qui la sous-tendent. Avec beaucoup de délicatesse et d’empathie, Tony Hymas les orne ou les exhausse et dessine ainsi un portrait sensible du chanteur avec une modestie qui l’honore.