Scènes

(Ad)Myra(ble) Melford et son quintet au Petit Faucheux.

Prospectus et Myra Melford Quintet sur la scène du Petit Faucheux.


Myra Melford, photo Rémi Angéli

Samedi 30 avril, la pianiste Myra Melford monte sur la scène du Petit Faucheux avec une formation majuscule. Aux côtés de Mary Halvorson, Ingrid Laubrock, Tomeka Reid et Susie Ibarra, elle déroule un set d’une impeccable tenue. Unique date en France dans le cadre d’une tournée européenne, il valait mieux être dans le public. D’autant plus que la première partie n’était pas mal non plus.

D’abord, le quartet Prospectus dont nous avions apprécié le disque donne l’occasion d’écouter sur scène de jeunes personnalités qui impressionnent par leur connaissance de cette musique et la volonté de se l’approprier sans académisme. Henri Peyrous est au saxophone et à la clarinette tandis que Léa Ciechelski (voir notre entretien) tient aussi bien le saxophone que la flûte. Ils interprètent de manière croisée quelques titres de leur disque mais pas seulement. Dans une volonté de fraîcheur et un désir de renouvellement, ils s’essaient à de nouvelles compositions qui bénéficient ainsi de l’enthousiasme des premières fois.

Derrière eux, la paire rythmique est aux aguets. Florentin Hay est à la batterie. Concentré, attentif au jeu de ses partenaires, il charpente le groupe et propose un jeu à la fois stimulant et légèrement abstrait qui rend tonique sa participation. La basse, quant à elle, est une découverte. Solide, Julien Ducoin attaque les cordes avec puissance et donne à chacune des notes une vraie intention. Lui aussi attentif à l’ensemble, il s’illustre lors d’un solo senti qui fait valoir un sens mélodique indéniable. Bref, jeune groupe déjà mature, Prospectus est à suivre et à (re-)voir.

Myra Melford, Mary Halvorson, Ingrid Laubrock, Susie Ibarra et Tomeka Reid. © Rémi Angéli

Parties à des heures indues le matin, ou plutôt la nuit même, de Norvège où elles jouaient la veille, les cinq femmes sur scène ne laissent rien voir d’une fatigue légitime. Au contraire, la musique est jouée avec allant et l’association des personnalités fonctionne immédiatement. Des pratiques communes dans diverses configurations (de celles qui ont écrit et écrivent encore au présent l’histoire du jazz de ces quinze dernières années) permettent une confiance certaine que l’écriture de Melford utilise et canalise. L’entame du concert impose, en effet, une partition d’une grande distinction que la pianiste orchestre depuis son clavier. Toutes dévouées à ce morceau, elles s’attachent à sonner ensemble et faire des propositions pertinentes.

Une plongée plus avant dans la soirée permet de découvrir des qualités propres. Le souffle puissant d’Ingrid Laubrock s’impose tandis que Susie Ibarra joue de finesse. Elle travaille les nuances de son instrument et propose autre chose que du simple rythme : une délicatesse. Associée au violoncelle noir et amplifié de Tomeka Reid qui creuse des lignes fortes, les deux se retrouvent en trio avec Mary Halvorson pour un interlude tout en groove chaloupé et cabossé. Ce qui frappe dans cet ensemble, c’est la capacité de passer d’un registre très écrit et élégiaque à des formes ouvertes, dures et free, sans transition, et un contrôle jamais pris en défaut dans l’intentionnalité.

Pour conclure, Myra Melford remercie, avec un accent américain à couper au couteau, « Le Petit Facho », déclenchant le rire de nous autres, Français, prompts à nous moquer (on aurait vraisemblablement moins ri si le second tour des présidentielles avait été différent). Un disque, paru chez Rogue Art, rend compte de ce répertoire. Enregistré voici deux ans, il devait donner lieu à une tournée dans la foulée, compromise par le COVID. Il aurait clairement été dommage qu’elle n’ait pas eu lieu. Comme il est d’ailleurs déplorable qu’aucune autre scène hexagonale n’ait pu ou su accueillir cette formation.