Chronique

Tristan Macé, Ensemble Illaps

Réels

Tristan Macé (bandonéon) ; Matthieu Bloch (b) ; Sabine Bouthinon (alto) ; Yann Cléry (fl, voc) ; Thibault Perriard (dm)

Label / Distribution : La théorie des jeux

Tristan Macé, compositeur audacieux et bandonéoniste jouant du jazz - sans pour autant être fâché avec ces musiques qu’on dit sérieuses - revient à la production discographique quatre années après un Étrangement bleu d’excellente mémoire. S’il se fait rare dans les bacs, rare est aussi l’objet qu’il nous propose cette fois, rare et beau : un disque niché dans un petit livre d’art renfermant des dessins à l’encre rêveuse, signés de l’artiste belge Arpaïs Du Bois.

Ce goût de la belle ouvrage amoureusement peaufinée se retrouve dans la matière sonore qui, captée en une seule journée avec naturel et soin, s’avère fluide mais avec ce qu’il faut d’âpreté pour que l’on s’y accroche. Et ce que l’oreille retient possède un charme à la fois tonique et envoûtant, alliance improbable et pourtant probante d’une écriture proche de la poésie d’un autre Tristan (Tzara), et d’une colère en tension quasi continue face au monde.

Dès l’entame, « Electricity » enchaîne les pulsations, assénées tout quintet devant et épicées de bifurcations inattendues et rapides. Un peu comme si, sur un ring idéal, s’opposaient les fantômes de Ligeti et d’Eric Dolphy. Le courroux qui traverse le disque sait aussi user de ruses, se sertir d’atours plus hypnotiques et sensuels, de langueurs inquiétantes, sinueuses (« Mangroves mentales », « Un petit vé… »). Et s’exhibe à nouveau, se déclame parfois, comme sur cette superbe « Prière capitale » portée par la voix autoritaire et chaude du flûtiste Yann Clery – comme sur les sept pièces vocales de l’album –, lointaine héritière des rires froids de Brecht que Kurt Weill mettait en musique.