Chronique

Vincent Peirani

Living Being II – Night Walker

Vincent Peirani (acc, voc), Emile Parisien (ss), Tony Paeleman (Fender Rhodes, kb), Julien Herné (elb, g), Yoann Serra (dms) + Valentin Liechti (elec).

Label / Distribution : ACT

C’est ce qu’on appelle faire feu de tout bois. Et quel feu, quel bois ! Qu’il reprenne à son compte Henry Purcell (« What Power Art Thou » extrait du Roi Arthur), Sonny & Cher (« Bang Bang »), Led Zeppelin (dans une suite enchantée nommée « From Kashmir To Heaven » dont le titre parlera à tous les amoureux de la bande à Jimmy Page) ou qu’il déroule un tapis soyeux sous les pas de ses propres compositions, Vincent Peirani frappe juste. On pourrait dire : en plein dans le mille ! Lui dont on devine le sourire semble capable non seulement de faire sienne toute musique et de fédérer des publics bien au-delà de la seule jazzosphère, mais aussi de vous émerveiller devant sa capacité à tisser un canevas sonore d’une grande force mélodique. Constamment présent, nourrissant une tension de chaque instant, mais sans jamais faire d’ombre aux musiciens qui l’entourent ni même chercher à tout prix à se mettre en avant. Pas le genre du monsieur…

Living Being est un ensemble collectif par définition et altruiste par la pratique, on le savait depuis le premier disque du groupe paru chez Act en 2015. Night Walker est la confirmation de ce que laissait entrevoir son prédécesseur : Émile Parisien, Tony Paeleman, Julien Herné et Yoann Serra, en symbiose avec le géant accordéoniste, ne sont pas venus pour faire étalage d’une virtuosité que nul ne leur contestera par ailleurs, mais au contraire pour servir un ensemble soudé par son onirisme et sa sensibilité. En témoignent « Bang Bang », les émouvants « Enzo » et « Falling », ou la reprise de « Stairway To Heaven ». Ces cinq complices inventent une texture onctueuse d’où n’émerge de prime abord aucun instrument et qui pourtant, laisse entendre clairement chacun d’entre eux. Il faut être capable d’une telle précision associée à une réelle dose d’humilité ! On mesure à quel point Living Being est un groupe attachant – Peirani le définit volontiers comme un orchestre de chambre rock – en ce qu’il s’exonère de toute démonstration. On aurait pu penser qu’un tel rendez-vous était l’occasion privilégiée d’une joute spectaculaire, une de plus, entre le duo de funambules Peirani-Parisien, façon Belle époque. En réalité, la compétition n’est pas leur carburant, même si le saxophoniste est rayonnant d’un bout à l’autre et rappelle qu’il est de ceux, rarissimes, qui ont su se forger un son unique : écoutez « What Power Art Thou », par exemple, à faire dresser les poils sur les bras. Tout ici est éclairé par un halo de sérénité où les explorations solistes sont concises et déterminées. Les longues chevauchées, ce sera pour une autre fois…

Parfois, le rythme s’accélère mais sans brutalité, dans une progression millimétrée (« Kashmir » poussé par une basse vrombissante), troublée par un Fender Rhodes saturé et suintant d’énergie (« What Power Art Thou », ou « Night Walker » avec un Tony Paeleman en verve) ou par quelques effets électroniques (les brumes de « Smoke And Mirrors », une composition qui laisse aussi entendre la voix de Vincent Peirani). Il y a de l’exultation (le bref « K2000 ») et une sorte d’ivresse aussi (celle de « Unknown Chemistry », qui vous prend et ne vous lâche plus pendant que Peirani administre une leçon d’envoûtement). Sans oublier le clin d’œil du virevoltant « Le Clown sauveur de la fête foraine », écho au « Clown tueur de la fête foraine », une composition épique qu’Émile Parisien a inscrite à son répertoire depuis longtemps et qui fait les beaux jours de son Sfumato.

C’est là tout l’art de ce disque séducteur : faire savoir que rien n’est impossible, à condition que la musique soit portée par la solidarité et… osons le mot, l’amour. Pas vraiment dans l’air (politique) du cynique « en même temps » très en vogue, mais nécessaire, plus que jamais.