Scènes

Léon Phal et Kyle Eastwood : quand le jazz est là…

Échos de Nancy Jazz Pulsations # 2 - Jeudi 10 octobre 2019, Salle Poirel – Léon Phal 5tet, Kyle Eastwood.


Léon Phal 5tet © Jacky Joannès

Le jazz est arrivé Salle Poirel, enfin. Entre le classicisme cinéphile de Kyle Eastwwod et les promesses plus contemporaines du quintet de Léon Phal, il y a de quoi se réjouir. Cette musique est vivante et sait aussi bien tourner son regard vers le passé que vers l’avenir.

Complet, et depuis un bout de temps. La Salle Poirel frétille, le public est assez particulier aussi, il faut bien le dire. J’observe. Autour de moi, la bourgeoise nancéienne se questionne tout en réservant des places pour des amis qui ne viennent pas : quel âge a-t-il ? Mais au fait, de quel instrument joue-t-il ? Forcément, le fils de Clint Eastwood va monter sur scène… J’y reviendrai.

Parce que la soirée débute avec une formation très prometteuse, celle du saxophoniste Léon Phal, un Rémois trentenaire que connaît fort bien son ami Thibaud Rolland, directeur de NJP. Son quintet a récemment été récompensé en étant lauréat du tremplin Jazz Up et du RéZZo Focal de Jazz à Vienne. 2019. Une belle carte de visite pour de jeunes musiciens qui ne cachent ni leur joie ni leur trac de jouer devant une salle pleine venue pour l’essentiel applaudir Kyle Eastwood. Entouré de Zacharie Ksyk (trompette), Arthur Alard (batterie), Rémi Bouyssière (contrebasse) et Gauthier Toux (claviers), le saxophoniste va hisser les couleurs d’un jazz contemporain et mélodique, dont la retenue va de pair avec un lyrisme aux accents parfois contemplatifs. Le groupe accorde une grande attention à l’élaboration de ses textures sonores. La rythmique est à la fois puissante et souple, jamais pesante ; la complémentarité entre le souffle presque granuleux de la trompette et le saxophone ténor est exemplaire. Leurs solos sont courts, exempts de toute démonstration virtuose. On admire le travail de contrepoint qui s’échafaude entre les deux. Et pour mieux sortir d’un cadre formel qui pourrait se révéler par trop classique, les claviers de Gauthier Toux ouvrent la porte de paysages plus mystérieux, planants parfois. Son synthétiseur analogique est le vecteur d’échappées nous rappelant que le jazz est aussi une musique de l’incertitude et de la création spontanée. Tout le répertoire joué est issu de Canto Bello, le premier album du Léon Phal 5tet dont la sortie est annoncée pour le début du mois de novembre. J’ai déjà hâte de l’écouter, histoire de prolonger ce beau moment, premier temps fort de NJP 2019.

Léon Phal © Jacky joannès

Kyle Eastwood pourrait, comme on dit, se la jouer vedette made in US. Avec un tel patronyme, rien de plus facile. Pourtant, c’est un musicien discret, souriant, qui monte sur scène après avoir lui-même accordé sa contrebasse. Il parle français et anglais, présente chaque morceau et annonce lui aussi la sortie prochaine d’un album consacré à des reprises de musiques de films. Faisant suite à In Transit paru en 2017, celui-ci sera la source d’une bonne partie du concert. Aux côtés du contrebassiste, trois musiciens anglais : Andrew McCormack (piano), Chris Higginbottom (batterie) et Brandon Allen (saxophones). Et puis, un Frenchy en la personne de Nicolas Folmer à la trompette. Du beau monde, une formation en verve, beaucoup d’énergie déployée dans un répertoire qui puise son inspiration au cœur d’un hard bop fiévreux hérité des années 60. Le cinéma y occupe une place prépondérante avec des thèmes composés par John Williams, Lalo Schifrin, Ennio Morricone ou Henry Mancini.

Kyle Eastwood © Jacky Joannès

Kyle Eastwood n’est pas un leader écrasant, il laisse toute la place nécessaire à ses partenaires qui prennent la parole avec beaucoup d’autorité. À ce petit jeu, Brandon Allen se distingue par des chorus fiévreux et puissants. On retiendra aussi une version survoltée, introduite par un solo de contrebasse, du « Boogie Stop Shuffle » de Charles Mingus. Quant au rappel, il n’aura pas besoin d’être présenté puisque chacun reconnaît dès les premières notes le thème de « La panthère rose ». La musique de Kyle Eastwood n’est jamais abrasive, elle serait même plutôt consensuelle et ne prend pas le risque d’une sortie hors d’une certaine zone de confort. Qu’importe : elle est habitée, joyeuse et provient en droite ligne de l’histoire du jazz américain. Je dois bien le reconnaître : cette célébration fait un bien fou. Y compris à ma voisine de droite, qui s’est réveillée de temps à autre, au moment des applaudissements.

par Denis Desassis // Publié le 11 octobre 2019
P.-S. :

Peut-être chercherez-vous les premiers échos de NJP, puisque j’ai commencé par le deuxième volet de ces chroniques. Ils n’existent pas. La faute à ces producteurs qui exigent une validation des photographies sous 48 heures. Incompatible donc avec une publication dès le lendemain du concert. Incompatible aussi avec cette liberté que revendique Citizen Jazz, peu enclin à se soumettre à ce genre de comité de censure à peine déguisé. Pas de photos, pas de mots, c’est aussi simple que ça. Ce qui m’aura évité le compte rendu d’une soirée plutôt catastrophique qui n’était pas mon premier choix. Mais l’annulation du concert de Beirut à L’Autre Canal m’aura guidé vers la seule soirée restante du côté de la Salle Poirel, et qu’on oubliera très vite. Entre les vulgarités de Sarah McCoy et les sucreries au parfum Cap-Verdien de Mayra Andrade, je fais le constat d’un glissement involontaire, de Beirut à la déroute…