Chronique

Soft Machine Legacy

Live Adventures

John Etheridge (g), Theo Travis (ts, fl), Roy Babbington (b), John Marshall (dr)

Label / Distribution : Moonjune

L’histoire des musiciens de Soft Machine Legacy finirait-elle par devenir aussi complexe que celle de Soft Machine, influence majeure et source de son inspiration ?
Ce groupe fut à l’origine d’un courant qui continue d’essaimer, ladite École de Canterbury [1], généalogie complexe quand il s’agit d’expliquer la composition d’une formation qui n’a cessé d’évoluer depuis 2002. Cette année-là, Hugh Hopper (basse), Elton Dean (sax), John Marshall (batterie) et Allan Holdsworth (guitare) - tous ayant fait partie de la Machine Molle nourricière à un moment ou à un autre -, décident de perpétuer cette dernière sous le nom de Soft Works [2]. Au bout de deux ans John Etheridge se substitue à Allan Holdsworth et le nouveau quatuor se rebaptise Soft Machine Legacy. Quelques albums plus tard [i], Theo Travis remplace Elton Dean, vaincu par la maladie, et la nouvelle mouture enregistre Steam (2007). Mais la Grande Faucheuse guette : Hugh Hopper le superbe engage un combat inégal contre la leucémie… vaincu à son tour en 2009, le géant débonnaire trouve un remplaçant en la personne d’une autre figure historique de Soft Machine, le bassiste Roy Babbington. Telle est donc la formation qui s’illustre dans ces Live Adventures enregistrées au mois d’octobre 2009 en Autriche et en Allemagne.

Dissipons sans plus attendre un malentendu : s’il reprend à son compte plusieurs thèmes majeurs de l’histoire de Soft Machine, dont « Facelift » (Hugh Hopper) et « Gesolreut » ou « As If » [3] signés Mike Ratledge, il n’est pas question un seul instant de tentation nostalgique ici ; par-dessus tout, on se gardera d’imaginer que la douce folie un brin ubuesque qui régnait à l’époque des premiers albums, en particulier lorsque Robert Wyatt était le batteur-chanteur du groupe, puisse trouver un écho fidèle dans le répertoire actuel.

Il faut avoir l’honnêteté d’admettre que nous sommes en présence d’un jazz rock plutôt classique, sans aspérités, sans vrais moments de folie, mais de très bonne facture et parfaitement propulsé par l’excellente paire rythmique Babbington/Marshall. Leur présence renvoie directement au Seven de Soft Machine (1973), sous-estimé à l’époque en raison d’une apparente sagesse créative [4] mais qui traverse les années avec grâce. Tous deux constituent le poumon de Soft Machine Legacy, et donnent à leurs comparses Travis et Etheridge l’occasion de s’exprimer avec une fraîcheur qui constitue la bonne surprise de ce disque. Le guitariste est souvent très convaincant, en particulier dans ses interventions rythmiques. « Grapehound » est à cet égard révélateur de la bonne énergie qu’il injecte dans le quatuor.

La vie du groupe aura été marquée en quelques années par suffisamment de tristes événements pour qu’on lui sache gré de ne pas rester pétrifié dans l’évocation d’un passé définitivement révolu, de ne pas chercher à singer des musiciens qui restent inégalables. Chaque membre de ce Soft Machine Legacy se présente ici avec sa propre personnalité, certes plus discrète que celle d’un Wyatt, d’un Hopper ou d’un Ratledge, qui demeurent des artistes hors norme, mais on ne peut nier chez ces ultimes héritiers une expression sincère et respectueuse du propos originel. Live Adventures est à cet égard un disque humble et honnête, agréable à écouter, à défaut de constituer une avancée majeure dans l’histoire de la grande famille Soft Machine. Ce que par ailleurs on ne lui demande pas. Pourquoi dans ces conditions bouder son plaisir ?

par Denis Desassis // Publié le 25 janvier 2011

[1Résumons brièvement : courant né en Grande-Bretagne, à la fois héritier du jazz et du rock progressif, avec par exemple Caravan, Camel, Hatfield & The North, National Health, Henry Cow, Matching Mole, Gilgamesh….

[2Un unique album, intitulé Abracadabra, verra le jour en 2002.

[iLive In Zaandam (2005), Soft Machine Legacy (2006), Live At The New Morning (2006).

[3Dans une version qui introduit l’album sous le nom de « Has Riff II ».

[4On se rappelle d’ailleurs que dès le départ de Wyatt, Soft Machine fut souvent considéré comme un groupe de jazz, donc décrié par les puristes, alors que les albums 5 et 6 demeurent aujourd’hui encore des pièces maîtresses sur son échiquier.