Sur la platine

WE INSIST ! : dernières nouvelles

Coup de projecteur sur quelques sorties du label WE INSIST ! Records.


Le passionnant label italien WE INSIST ! Records sort cet automne quatre nouveaux albums dont on attend beaucoup [i]. L’occasion pour nous de revenir sur quelques sorties récentes (ou pas), dont il est urgent de dire le plus grand bien [1].

On commence par Lubok, enregistré par le Andrea Grossi Blend 3. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un trio emmené par le jeune contrebassiste (né en 1992) italien Andrea Grossi (entendu récemment dans le groupe Pipeline 8 de Nino Locatelli) et complété par le guitariste Michele Bonifati et le saxophoniste alto Manuel Caliumi, deux musiciens de la même génération. Les compositions sont toutes du contrebassiste, excepté le « Prologue » improvisé par les trois compères et un morceau de Tim Berne, « Van Gundy’s Retreat », ce qui dénote, vous en conviendrez, un goût très sûr pour les bonnes choses. L’écriture saccadée et elliptique de Grossi laisse une vaste place à ses deux camarades. Et c’est le saxophone aérien de Manuel Caliumi qui sort du lot, tant par son phrasé, sa maîtrise des textures, que son sens de l’interprétation. Deux morceaux ont particulièrement retenu mon attention : le beau « Iwato » (enchaîné avec « Ru-Bok ») et le déstructuré « MC ».

Avec l’album Down At The Docks, on se situe dans une autre ambiance. Une ambiance plus chambriste, plus intimiste. Le dialogue entre l’expérimenté tromboniste Sebastiano Tramontana dit Sebi, coutumier de l’improvisation libre et des rencontres sans filet (on se remémore avec beaucoup de plaisir la musique du Sudo Quartet qu’il forme en compagnie de Carlos Zingaro, Joëlle Léandre et Paul Lovens) et le violoncelliste Luca Tilli prend alors des allures de conversation enjouée et débridée. Loin des discours formatés et des vérités sentencieuses, les deux musiciens prennent le temps d’élaborer leurs prises de paroles ; tantôt tonitruantes, tantôt ouatées, les interventions de chacun ponctuent une discussion qui tournerait autour de la rencontre, de l’oralité et du hasard. Sans l’autre, nous ne sommes pas grand chose. C’est ce que semblent vouloir nous dire ces deux beaux musiciens.

Gabriele Mitelli fait également partie de cette jeune génération transalpine décomplexée. Nous l’avons récemment entendu dans le Multikulti Ensemble de Cristiano Calcagnile ou en duo avec Rob Mazurek (Star Splitter, Clean Feed). C’est en solitaire qu’il a enregistré The World Behind The Skin où il développe une musique ample et souterraine qui donne des frissons. Sur l’album, il s’occupe de tout : cornet, saxophone soprano, flugelhorn, électronique, objets ; il donne même de la voix. A découvrir.

On termine ce tour d’horizon avec le pianiste Alberto Braida, que Nino Locatelli nous présentait dans l’entretien qu’il nous a accordé comme son alter ego. Musicien chercheur et touche-à-tout, adepte des configurations intimistes (duo et trio), il multiplie les expériences aux frontières de l’improvisation et de la musique contemporaine. Avec In Love With The Moon, il nous livre la quintessence de sa musique. A la fois tendre et revêche, il nous donne à entendre quelque chose qui pourrait s’apparenter à un romantisme rêche et abrupt, à mi chemin entre un Thelonious Monk ou un Cecil Taylor et des pianistes plus lyriques du type Bill Evans ou Keith Jarrett. Le toucher subtil et délicat de Braida peut, à tout moment, se muer en un tourbillon puissant et abrasif qui fait de cette rêverie solitaire un bien beau disque.

par Julien Aunos // Publié le 13 septembre 2020

[iArea Sismica de Jöelle Léandre et Pascal Contet, Four Winds du Andrea Grossi Blend Orchestra, Kakuan suite du trio pipeline, Rain, Ghosts, One Dog and Empty Woodland de Gianmaria Aprile.

[1Signalons tout de même que nous suivons ce label depuis sa création en 2018, puisque nous avions déjà chroniqué ses premières références : pipeline 3, pipeline 5 et pipeline 8 ainsi que le solo de Nino Locatelli Situations.