Scènes

We Want Médéric !

Exposition « We Want Miles » (Cité de la Musique) + Médéric Collignon « Jus de Bocse » & Guests au Sunside (Paris), 8/9 janvier 2010.


© ripodesign.com
J’en ai rêvé, la Cité l’a fait. La lecture à l’avance du catalogue aurait dû m’y préparer, mais même averti, cette expo est un choc pour tout fan du grand Miles.
Surabondance d’information, de documents (courriers, films, vidéoclips, interviews), d’objets tirés de son univers : ses instruments, ses habits de lumière, situés avec une précision maniaque d’historien du Jazz. Clarté de l’information, qualité de la présentation, élégance du commentaire, le tout emballé dans une scénographie faisant la part belle à la typographie (inspirée de celle de l’album Tutu), à l’image (de magnifiques portraits géants par Anton Corbijn, Anthony Barboza, Irving Penn et Annie Leibovitz) et au son (à chaque borne il est possible de brancher un casque).
Il faut saluer le travail de Vincent Bessières, Commissaire de l’exposition, et de son équipe. Ils ont fort logiquement choisi la chronologie pour structurer le parcours du visiteur et nous sommes invités à suivre la vie de Miles, de sa naissance tumultueuse à St-Louis à son décès quelques semaines seulement après un concert-hommage ici-même, à La Villette, devant la Halle, sur le parvis qui mène au Musée abritant cette exposition-événement. Un chef-d’œuvre d’exposition, délice des fans comme des profanes.

Malheureusement la famille s’oppose à ce qu’on prenne des photos… À ma demande, un gardien compréhensif m’autorise à photographier « le mur des sidemen », impressionnante composition typographique énumérant les compagnons de route de Miles sur l’ensemble de sa carrière : de haut en bas, par strates, suivant les types d’instruments (des cuivres à la voix humaine), et de gauche à droite suivant le fil du temps. La taille des lettres varie en fonction de la durée de chaque collaboration. Certains musiciens, les plus jeunes ou quelques rares survivants de passage à l’exposition, ont agréménté cette « time line » de précieux autographes. Where were you John ?…

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Quoi de plus logique, en sortant de l’expo « We Want Miles » à La Villette, que d’aller découvrir ou redécouvrir sur scène l’incroyable Médéric Collignon puisque son groupe (le Jus de Bocse) revisite depuis plus de trois ans le répertoire du Miles électrique des année 70-80.

Exigence, talent et bonne humeur. Soutenu par une rythmique impeccable (Mathieu Jérôme remplaçant exceptionnellement Franck Woeste au Fender Rhodes, Frédéric Chiffoleau à la contrebasse et Philippe Gleizes à la batterie), titillé par la guitare d’un prestigieux invité (Manu Codjia un soir puis Claude Barthélémy le lendemain) et provoqué en duel par le trombone-basse de Pascal Benech, le bonhomme ne ménage pas son énergie. Véritable pile électrique, c’est un animateur-provocateur-improvisateur monté sur ressorts, mais surtout un prodigieux musicien, multi-instrumentiste (cornet de poche, bugle, chant, scat, beatbox et… triangle - mais aussi, hors scène, piano, Rhodes et batterie !). Doté d’un humour caustique, il émaille ses interprétations de commentaires inattendus et irrésistiblement drôles. Un concert de Médéric est une création, une aventure, une pochette-surprise et toujours un délice musical. Ce type ne doit pas manger comme nous. Relax devant le club, en tee-shirt et chemisette par un petit –5° : « Je suis ardennais, je connais le froid et je sais l’apprivoiser par la respiration. » Tout paraît simple, évident et ludique avec ce phénomène, mais si on pousse le gaillard dans ses retranchements, c’est le mot « travail » qui surgit rapidement.

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Trente-neuf ans d’âge, trente-quatre de musique (il a commencé la trompette à cinq ans), quinze ans de Conservatoire… On comprend qu’il lise et écrive la musique. Le lendemain du premier concert et n’ayant pu faire de photos correctes à cause de l’exiguïté des lieux, j’ai rendez-vous à la balance ; et je découvre justement Médéric accoudé au piano, rédigeant une partition destinée au grand Claude Barthélémy, son ancien patron à l’Orchestre National de Jazz - une transcription « maison » d’après les albums de la période électrique de Miles Davis (In a Silent Way, Filles de Kilimanjaro, Big Fun, On the Corner…) jusqu’à un Decoy qu’il va customiser avec « Freddie Freeloader » et rebaptiser « Fred le loser ».

Le concert, mené à un train d’enfer comme la veille, ravit un public tout sourire. Les applaudissements crépitent, il fait chaud et Médéric remet bûche sur bûche. On est bien, mais notre hôte nous a prévenus : il est exténué et ce concert est le dernier d’une longue série. La voix a tenu, mais la bouche est en feu et il faut faire reposer le moteur humain, le palpitant malmené, sa pompe à groove plus grosse que le corps étroit qui la contient. À bientôt l’artiste !

Le photoreportage complet