Chronique

Yohan Giaume

Whisper of a Shadow

Label / Distribution : Autoproduction

C’est un disque imaginé comme une superproduction ; un biopic, avec ses tableaux, ses scènes, ses instants. Avec l’une des voix contemporaines du spoken word de la Nouvelle-Orléans, le poète Chuck Perkins, qui vient poser ses mots sur le très cajun « Mascarade ». C’est un roman policier de Ray Celestin qui se passe à NOLA en 1922. C’est aussi un titre du compositeur Louis Moreau Gottschalk, mort cinquante ans plus tôt, auquel Whisper of a Shadow est consacré. Et l’arrangement de quatuor à cordes où brille l’excellent violoncelliste Thomas Ravez (Quatuor Varèse) est signé par un jeune compositeur et ethnomusicologue français, Yohan Giaume. Ce dernier se révèle aussi un remarquable trompettiste : sur « Life Circle Part 1-Death », il défile avec son partenaire dans ce projet, le clarinettiste Evan Christopher, pour une procession funéraire dans la ville du bayou où l’on ne meurt jamais vraiment. C’est d’ailleurs sur une renaissance, « Life Circle Part 2 - Birth » que se termine l’album, avec un marching band pétaradant où s’illustre le batteur Herlin Riley.

Gottschalk, c’est une sorte de fantôme des origines du jazz. Considéré comme l’un des premiers compositeurs d’Amérique du Nord, fils d’un émigré allemand de confession juive et d’une créole haïtienne, c’est avant tout un des premiers collecteurs du nouveau continent, un voyageur impénitent et un sacré iconoclaste : ses partitions vont du foncièrement romantique « Poète Mourant », repris ici avec le piano très concertant du protégé de Marsalis Aaron Diehl, à « Manchega », une pièce pour piano qui doit beaucoup aux escapades sud-américaines de cet ami de Chopin. C’est aussi, comme son contemporain Stephen Foster, un compositeur qui s’est beaucoup intéressé aux musiques des esclaves africains et qui a inspiré The Voices That Are Gone de Bill Carrothers et Jazz Before Jazz de Mario Stantchev et Lionel Martin. Whisper of a Shadow se range plutôt du côté du premier, cherchant à contextualiser. C’est ce que l’on découvre dans « Lez African é là », chanté par Philippe Makaïa avec les percussions de Bago Balthazar, morceau de Giaume qui imagine une rencontre. Une mise en scène là aussi assez cinématographique, avec la belle contrebasse de Roland Guerin.

Avec ce disque, on cerne mieux la personnalité de Louis Moreau Gottschalk, dont l’importance est parfois négligée de ce côté-ci de l’Atlantique. On découvre également Yohan Giaume, un musicien français qu’il va falloir suivre avec attention. Après un projet si ambitieux, il sera intéressant d’entendre sa musique dans des contextes différents, plus contemporains. Il sait, quoi qu’il en soit, faire vivre une histoire et déclencher la curiosité avec des images fortes. C’est prometteur.

par Franpi Barriaux // Publié le 21 mars 2021
P.-S. :

Yohan Giaume (tp), Evan Christopher (cla), Aaron Diehl (p), Roland Guerin (b), Tristan Liehr, Louis-Jean Perreau (vln), Emmanuel François (vla), Thomas Ravez (cello), Herlin Riley (dms) +guests