Chronique

Cécile McLorin Salvant

Mélusine

Cécile McLorin Salvant (voc, synth), Aaron Diehl (p), Sullivan Fortner (p, synth), Paul Sikivie (b), Kyle Poole (dms), Lawrence Leathers (dms), Godwin Louis (as, arr), Luque Curtis (b), Weedie Braimah (perc), Obed Calvaire (dms).

Label / Distribution : Nonesuch / WEA

On ne peut qu’être saisi d’emblée par la pulsation fondamentale qui jaillit de la voix de Cécile McLorin. Sa partition intérieure fait mouche à tous les coups, comme si elle était nantie d’un groove vocal naturel. Ses trilles, ses variations de timbre et de débit, sont d’une précision confondante. Aussi franchit-elle aisément les frontières musicales établies. C’est du jazz, certes. D’autant plus qu’elle a fait appel à ses musiciens favoris pour donner du relief à un répertoire focalisé sur le mythe de Mélusine - dans sa version plutôt poitevine, ce qui, à l’heure où le Marais Poitevin subit les coups de boutoir de l’agriculture intensive, est plus que bienvenu. Sont ainsi présents sur le premier titre, une version groovissime de « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? », le pianiste Aaron Diehl et le contrebassiste Paul Sikivie, compagnons de ses premières aventures discographiques. Elle a également sollicité le pianiste Sullivan Fortner, accompagnateur idéal de ses mélismes grâce à son swing impressionniste au piano et par sa grande acuité musicale au synthétiseur - qu’il sait faire sonner comme un luth archaïque. Notons l’apparition troublante du regretté batteur Lawrence « Low » Leathers en fantôme bienveillant sur ce recueil de contes.

Chercheuse musicale avisée, elle a aussi fait appel au batteur-producteur Kyle Poole (particulièrement connu pour son travail auprès du pianiste post stride Emmet Cohen, il est un acteur essentiel de la scène new-yorkaise actuelle), ainsi qu’au saxophoniste Godwin Louis (pour trois titres aux accents haïtiens, ce qui lui permet, avec des percussions insulaires, de renouer avec ses racines caraïbes). Elle propose un art consommé du crossover, alignant également des reprises de Véronique Sanson et Michel Berger (« Petite musique terrienne » prend des accents gospel) ou bien des plages en solo en s’accompagnant elle-même au synthétiseur. Dans une sorte de vaudeville expérimental, elle créolise un mythe féministe européen, allant jusqu’à chanter en occitan - renouant par là-même avec l’une des origines possibles du mot « jazz » : le verbe « jaser », converser. Avec ce disque, Cécile McLorin s’impose comme une femme troubadour semant le trouble dans le genre jazzistique : sa liberté est désormais sans limites.