Sur la platine

Yoni Kretzmer, Out and Now !


Comme c’est de plus en plus le cas dans la production indépendante, Outnow Recordings est un label qui s’est construit autour de deux individualités et qui de loin en loin s’est mis à produire d’autres artistes, jusqu’à trouver une véritable ligne esthétique et éditoriale où les Français familiers de New-York, tels Frantz Loriot ou Pascal Niggenkemper, ont assuré une large place. Ce fut le cas dans le Systematic Distorsion Orchestra de l’altiste, qui est un acte fondateur de sa discographie. On retrouve également les Français dans le sextet New Dilemma du saxophoniste Yoni Kretzmer, personnage central du label qui surprend par sa vigueur et sa verve.

Né à Tel-Aviv, Yonatan Kretzmer n’est pas encore le musicien le plus connu de sa génération, malgré une opulente discographie où l’on retrouve Eyal Maoz ou Daniel Levin (dans l’explosif quartet Boxes 66), mais aussi des figures de l’avant-garde de la côte Est comme Weasel Walter ou encore le contrebassiste Reuben Radding, avec qui il enregistre deux albums dans la formation 2Bass Quartet (avec Sean Conly à la seconde basse et Mike Pride à la batterie) dans une configuration plus contemplative. Inspiré de Tim Berne qu’il a accueilli sur le label tout comme Gerry Hemingway, le jeune saxophoniste d’à peine 35 ans a déjà eu mille vies : d’abord fomenteur de la renaissance d’une scène israélienne vivace, que le disque Overlook illustre, il passe par l’American School of Modern Music de Paris où il noue des liens solides avant de partir aux Etats-Unis.

Indubitablement, Months, Weeks and Days, enregistré en 2016 et sorti au printemps, est le témoignage de ces mues successives. Basé tout d’abord sur la dichotomie entre les soufflants et les cordes et les divers moyens pour créer un chaos lancinant mais stupéfiant, le sextet livre des morceaux parfaitement agencés où l’alto de Frantz Loriot vient souvent défier le ténor incandescent de Kretzmer, capable en un instant d’allumer la plaine. C’est le cas dans l’intense « March 14th » où les coups d’archets répondent à chacun des cris pendant que le batteur Flin van Hemmen attise le flux à grands coups de cymbales vibrants. Dans un double album dense, le sextet égraine des jours de l’année telles des cases dans un journal intime ; Que se passait-il ce 14 mars ? Pourquoi était-il plus apocalyptique que ce « Friday May 13th » où le violoncelle de Christopher Hoffman vient goûter la quiétude et la douceur générale ? Rien ne le dit ; parfois, la clarinette basse de Josh Sinton vient se mêler à l’ensemble avec fougue pour un bel album qui tient à la fois compte de la tradition Free mais sait s’en départir.

Est-ce l’acculturation de Kretzmer à la musique improvisée européenne qui explique cette posture très libre ? La solution est certainement dans BIG, trio sorti naturellement chez OutNow Recordings. On y retrouve le trompettiste allemand Thomas Heberer et le contrebassiste suisse Christian Weber à Brooklyn pour un disque où la texture a davantage d’importance et où la relation entre trompette et ténor est primordiale, voire exclusive. On n’y retrouve pas la rage soudaine d’autres albums, mais un goût prononcé pour les jeux de timbres très évolués qui rappelleront quelques directions de la musique contemporaine ; c’est ce qu’on apprendra du formidable « The Münchhausen Trilemma » où les deux soufflants jouent à se poursuivre avec ce qu’il faut d’espièglerie. A l’instar son label, Yoni Kretzmer est un nom à suivre attentivement. Il ne faudra pas longtemps avant que nous n’en entendions parler avec davantage d’insistance.