Chronique

Lazro / Nick / Souchal / Cappozzo

Neigen

Daunik Lazro (ts, bs), Michael Nick (vln), Nicolas Souchal, Jean-Luc Cappozzo (tp)

Label / Distribution : Ayler Records/Orkhestra

Michael Nick avait déjà travaillé avec Daunik Lazro ; les deux musiciens se ressemblent. C’était avec Sophie Agnel, autre forte tête ,et Jérôme Noetinger, un électroacousticien fureteur. Le violon lui aussi sait conquérir l’électricité ; les cordes frottées chantent, sondent la plaie, s’accordent avec le souffle aréneux du saxophone baryton de Lazro. Dès « Connexe », le parfaitement nommé, qui superpose habilement les deux sons, les fusionne à l’envi, on sait que le présent quartet va chercher à combiner, à devenir une seule force, sans renverser la table, avec la débonnaire patience des orpailleurs ; le mot est utilisé dans les notes de pochette. Il correspond au mouvement circulaire et légèrement tremblant, sans précipitation, pour troubler un silence qui se ridule comme un plan d’eau, qu’on découvre dans le court « Terra Motu » où chaque timbre est méticuleusement choisi, comme une brosse d’archéologue.
 
Dans cette géologie bien comprise, ce sont les cuivres qui font office de rocaille, ou plutôt ces plantes ascétiques qui s’accrochent à elle. Les deux trompettistes qui encadrent ce quartet sont eux aussi des musiciens aux polymorphies voisines. Jean-Luc Cappozzo est un habitué du label Ayler Records qui accueille presque naturellement ce beau projet. Si le Tourangeau maîtrise le vent, du plus faible au plus soudain, Nicolas Souchal est plus organique. C’est une feuille qui ballotte, une branche d’arbre qui craque… Ces arbres dont il parle le langage depuis tant d’années au sein du collectif auvergnat Musique en Friche, et qui chantent ici dans l’intense « Apnée d’Aphné » où les lentes déchirures des trompettes viennent s’amalgamer avec les cordes frottées de l’archet de Michael Nick.
 
Neigen en allemand, c’est « tendre vers ». Il y a deux acceptions à tendre, elles sont toutes deux utilisables ici. Il y a de la tension, de la ligne droite, de la tangente qui n’a pas peur d’elle-même, et puis il y a aussi de la tendresse, ou du moins une quiétude et une empathie qui agissent en vecteur commun de tous les contraires en prenant bien garde de ne jamais les lisser. Tous les mouvements de ce quartet sont auscultés avec une précision méticuleuse, sans jamais en laisser un de côté, fût-il fugace, fût-il infime. C’est un très beau paysage que nous propose Neigen : une photographie tout sauf figée, et ouverte à toutes les surprises.

par Franpi Barriaux // Publié le 11 avril 2021
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