Entretien

Adèle Viret au fil de l’eau

Rencontre avec Adèle Viret, violoncelliste prometteuse, entre Bruxelles et Paris.

Adèle Viret © France Paquay

Lauréate de la neuvième cuvée de Jazz Migration avec son quartet essentiellement bruxellois et quelque peu familial, la violoncelliste Adèle Viret a fait paraître son premier album au début de l’automne. Voici quelque temps que l’intérêt pour la jeune musicienne grandit : nous l’avions entendue dans le beau Mons Tumba de Robin Antunes ou lors des nouvelles Collisions Collectives d’Avignon cet été aux côtés d’Alexandre Herer. Très proche du saxophoniste d’Aka Moon Fabrizio Cassol, on la retrouve également dans le récent Medinea Sessions avec le Belge pour directeur artistique. Rencontre avec une musicienne pleine de promesses.

- Adèle, vous avez choisi un instrument essentiellement classique, le violoncelle.

Oui, je suis toujours au Conservatoire de Bruxelles en master 2, en musique classique.

Adèle Viret

- Qu’est-ce qui vous a poussée à aller « voir ailleurs » pour ce premier album ?

Je suis née dans une famille de musiciens, mon papa est contrebassiste de jazz [1], j’ai grandi avec ces deux tendances, le classique et l’improvisation, c’est donc très naturellement que j’ai suivi des stages, des workshops qui m’ont amenée sur différentes pistes.

- Y a-t-il des violoncellistes qui vous ont attirée vers le jazz ?

Vincent Ségal, Vincent Courtois, Guillaume Latil, oui, je les ai rencontrés, pris des cours avec eux, suivi des ateliers, je les ai beaucoup écoutés.

- Chez les plus anciens, il y a des musiciens comme Hank Roberts ou Ernst Reijseger ?

Je connais un peu leur travail sans pour autant avoir plongé dans leur écoute comme pour ceux que j’ai cités.

- Comment s’est formé votre quartet ?

Lorsqu’on a commencé les premières répétitions, le trio de Wajdi Riahi n’était pas encore né, on s’est rencontrés au Conservatoire lors de sessions en duo ; Pierre Hurty, c’est par le projet Medinea de Fabrizio Cassol que je l’ai connu. On a en fait commencé en trio, mais après quelques répétitions, j’ai eu le sentiment qu’il manquait une voix pour apporter quelque chose d’autre à la musique. J’aimais beaucoup l’association trompette-violoncelle, le choix d’Oscar Viret, mon frère, est devenu évident.

- Vous étiez au Grand Manège à Namur avec Aka Moon, était-ce une musique en lien avec Medinea ?

Non, c’est tout à fait différent de Medinea, c’était vraiment la musique d’Aka Moon. Pour Medinea, Fabrizio se définit comme dramaturge, une sorte de coach artistique, un regard extérieur. Ce sont des musiciens de la Méditerranée qui se réunissent pour une quinzaine de jours et composent ensemble autour des traditions de la Méditerranée. Fabrizio n’intervient pas directement, ne joue pas, tout se fait dans l’oralité.

Adèle Viret

- Votre album a été forcément influencé par l’eau, « Close to the Water »

L’écriture s’est étalée sur plusieurs années, à la suite de différentes sessions en Tunisie, à Aix-en-Provence, à Lisbonne… Par conséquent, j’en sortais chaque fois avec beaucoup d’idées, beaucoup de morceaux sont nés suite à cela.

- Vos compositions semblent dominées par l’image, vous parlez de l’influence de la mer, c’est très cinématographique. Le jazz dans votre musique ne suit pas vraiment les codes : c’est certes un quartet mais on n’y enchaîne pas thème et impro, la musique est très partagée, c’était voulu au départ ?

En fait, j’ai écrit la musique au départ sur le piano qui a vite eu une importance très centrale ; il y a aussi le fait qu’Oscar et moi on se connaît si bien, le partage entre nos deux instruments s’est fait de façon très naturelle. Comme on a fait tous les trois partie du processus Medinea qui est très collectif, nous avons retravaillé mes compositions ensemble, on a cherché la manière de faire sonner les choses ensemble, et comme il s’agit d’une formation pas très commune, il a fallu se réinventer un peu ensemble. Ça a été une recherche collective, quelque chose qui m’a fait super plaisir.

- La voix de votre frère, c’était acquis d’avance ou vous avez réfléchi à d’autres formules ?

Au moment où je me suis posé la question, il se fait qu’Oscar et Wajdi s’étaient rencontrés dans un contexte à part où je n’étais pas. Et ils se sont retrouvés à Medinea. Et quand j’ai vu leur relation, ça m’est apparu évident. Je venais d’arriver à Bruxelles et on ne se voyait plus beaucoup.

Adèle Viret © Marc Bonnetain

- Pourquoi Bruxelles ?

Je suis venue pour les études à moitié par hasard. Et puis j’avais rencontré Fabrizio Cassol un an auparavant et je me suis dit que ce serait une chouette complicité d’être dans la même ville. Suite à ça, il y a eu l’aventure Aka Moon et d’autres choses qui se sont développées. La présence de Fabrizio et le fait que je connaissais Pierre Hurty depuis Medinea, ça a sans doute joué, j’avais le choix entre plusieurs écoles, mais la présence de super musiciens et le fait que j’ai senti qu’on pouvait faire de super rencontres ici, ça a joué.

- Quand vous composez, vous jouez plus sur la nuance et les variations que sur le développement d’un thème.

Oui, c’est vrai. Ça a été écrit de manière spontanée, c’était très connecté au ressenti tout en cherchant des formes, comment faire sonner un thème.

- Et ces thèmes se développent encore différemment en concert ?

Certains, oui, quand il y a de la place. Parfois, l’équilibre se trouve sur un fil. Comme je dois souvent passer du pizzicato à l’archet, il faut que je sache un peu à l’avance dans quelle fonction je vais être. Il y a donc des pièces où il est difficile de laisser la place à des formules de l’instant parce qu’il y a une préparation à différents passages.

- La musique est assez structurée, pleine de nuances, de sorte que ça sonne plus quatuor que quartet.

Tout à fait. Il y a des solos, mais qui ne sont pas envisagés comme dans les formes du jazz, où le soliste est très en avant. Ici, c’est comme si le soliste et les accompagnateurs étaient sur le même pied.

- Quels sont les compositeurs, les musiciens que vous écoutez et qui vous inspirent ?

Forcément la musique de Fabrizio Cassol. Il y a un violoniste français, Mathias Levy, que j’écoute beaucoup. J’ai écouté récemment le disque d’un guitariste danois basé à Amsterdam, Teis Semey, qui s’appelle En Masse. Un autre album qui vient de sortir auquel je suis très attachée est celui des Medinea Session qui regroupe 23 artistes de Medinea et dans lequel nous avons joué tous les quatre avec Wajdi, Pierre et Oscar. On a tellement de choses qui passent en ce moment. J’aime beaucoup aussi la musicalité de João Barradas.

par Jean-Pierre Goffin (JazzMania) // Publié le 1er décembre 2024
P.-S. :

Cet entretien a déjà été publié par notre partenaire Jazzmania.

[1Jean-Philippe Viret, Oscar et Adèle forment un trio familial contrebasse-trompette-violoncelle judicieusement appelé « Triumviret ».