Chronique

Airelle Besson / Nelson Veras

Prélude

Airelle Besson (tp), Nelson Veras (g)

Label / Distribution : Naive

Chaque note, chaque mesure de Prélude semble être choisie et jouée – mieux vaudrait dire formulée – avec une attention extrême. Ainsi est-on saisi, tout au long des dialogues incessants entre Airelle Besson et Nelson Veras, par une beauté discrète mais intense qui se prolonge après l’écoute, comme si désormais demeurait en nous, et pour longtemps, quelque chose de merveilleux.

Cette suite de onze duos trompette / guitare s’écoute d’emblée comme on entendrait, en son for intérieur, tout en le lisant, un recueil de poésie. Les deux musiciens ne s’adressent pas seulement à nous par des des mélodies, des harmonies - ce qui, en apparence, fait la musique - mais aussi par des mots, ceux que l’on prononce, ceux que l’on écrit, les chants de l’écriture poétique elle-même. Car ce que l’on perçoit dans les entrelacs de ces instruments si rarement réunis, ce sont les souffles, les sentiments - l’origine de la poésie comme de la musique.

Chaque titre est le fruit d’une attention, d’une expression et d’une sensibilité exceptionnelles, tant chez la trompettiste, une des plus talentueuses que le monde du jazz nous ait données depuis longtemps, que chez ce guitariste chez qui tout effet est banni au profit d’une extrême délicatesse et d’un jeu impressionniste aussi émouvant que réjouissant. Il faut dire combien l’art d’Airelle Besson (sa technique, ses compositions, toute sa façon de s’exprimer) porte au plus haut ce que l’on peut espérer de la musique. Ses climats clairs, transparents, se font parfois ombrageux ou hésitants, comme la vie, peut-être parce qu’ils expriment un intime qui n’appartient qu’aux musiciens mais est en même temps une part de nous-mêmes.

Airelle Besson fait l’unanimité depuis qu’elle est apparue sur scène au début des années 2000. Elle a travaillé avec Wynton Marsalis avant de former avec Sylvain Rifflet l’excellent RockingChair (chroniqué deux fois par Citizen Jazz). Puis elle a joué avec Charlie Haden, Michel Portal, Riccardo Del Fra (My Chet My Song, où elle excelle également), Youn Sun Nah, Philip Catherine, Billy Hart, Rhoda Scott, Didier Levallet, John Abercrombie, Alain Jean-Marie, l’ONJ, Joël Allouche… En 2008 elle obtient le premier prix de groupe au Concours National de la Défense, puis un Django d’or dans la catégorie « Nouveau talent. » Quant à Nelson Veras, il n’est pas en reste de références prestigieuses : Michel Petrucciani, Brad Mehldau, Steve Coleman, Mark Turner, et en France Eric Le Lann, Daniel Humair, Aldo Romano et bien d’autres.

Tous deux auraient pu enregistrer un excellent disque. Ils ont fait bien davantage. Ces thèmes - un somptueux « Body And Soul » et des compositions originales semées de citations, signées de l’un et de l’autre - constituent une œuvre très singulière, incomparable. Loin de tous les sentiers battus, ils ouvrent avec ce Prélude une voie d’une rare splendeur.