Jazzèbre, tout rayé de soleil
Jazzèbre 2024 ou quand la culture fait société.
La Grande fanfare © Léo Poudré
Jazzèbre… quel drôle d’animal. Le festival roussillonnais, bientôt quarantenaire, continue de nourrir de jazz sous toutes ses formes les Pyrénées-Orientales. L’édition 2024 a confirmé ce choix tant esthétique que sociétal.
Disons-le tout de go : Jazzèbre est un festival comme on aimerait en voir partout ailleurs. Les choix artistiques et politiques faits par l’équipe et soutenus par les partenaires forcent le respect. D’abord car l’association et ses salariés programment un certain nombre de musiques qui explorent des formes originales et aventureuses ; ensuite car ils irradient au-delà de Perpignan et des salles dédiées.
- Sakina Abdou © Laurent Orseau
C’en est ainsi d’Ailefroide et l’ivresse, composé du duo Dune, entre la flûtiste Fanny Ménégoz et le batteur Rafaël Koerner et de l’effervescente saxophoniste Sakina Abdou. L’orchestration, sans basse ni instrument harmonique, ouvre de fait beaucoup de possibilités avec ce projet autour de la matière terrestre. L’idée est d’ailleurs programmatique puisque Fanny Ménégoz disait du titre « Entre les vagues » qu’il s’agit de « chercher et de trouver les brèches », ces interstices et autres chemins non exploités. A Eus, superbe village à flanc de montagne dans les terres à une trentaine de kilomètres de Perpignan, le public a accroché d’un bout à l’autre, demandant du rab tandis que les musiciens saluaient. Très vraisemblablement, le travail de fourmi que l’association locale Art Que Fem réalise depuis des années en programmant des concerts en saison y contribue mais, fondamentalement, les choix audacieux de l’équipe du festival sont ainsi confirmés.
Les festivaliers du lendemain étaient au bord de l’eau puisque c’est à Port-Vendres que tout se passait. Les Pyrénées-Orientales sont ainsi faites : on passe de la montagne à la mer et vice-versa. Les deux concerts solo à la Micro-Folie de Sakina Abdou - l’un pour les enfants, l’autre pour les adultes - nous emmènent dans des contrastes faits de séries d’allers-retours : de chocs à des mouvements amples, de notes tenues, ténues, teigneuses à d’autres plus percussives, de crescendos et decrescendos, de la dissonance à la consonance et plus généralement de tout un ensemble d’éléments afin que chacun s’approprie ces sons et ces phrases et en nourrisse son imaginaire. En tout cas les yeux et les oreilles des jeunes et des moins jeunes étaient aux aguets, preuve là encore qu’oser les musiques hors normes est d’utilité publique.
Il en allait de même avec la lecture musicale qui réunissait la saxophoniste Camille Maussion et le lecteur Claude Faber dans la cave du domaine Claire Mayol, pays de vignerons oblige.
- Airelle Besson et Lionel Suarez © Gérard Boisnel
Le concert du soir qui réunissait Lionel Suarez et Airelle Besson était plus entendu. Reste qu’il serait erroné de le croire de moindre qualité. Il n’était pas question de musique compromise. Ce n’est ni l’ADN du festival ni celui des musiciens invités. Le concert fut d’ailleurs superbe entre une virevoltante « Neige », « Olé Léo » - une « minviellerie », ainsi que la définissait Lionel Suarez -, « Silencio » de Carlos Gardel ou encore « Rimes », du répertoire de Nougaro.
Ce premier week-end s’est clos à Théza, village à quelques pas de Perpignan avec une balade dominicale ponctuée par la Grande fanfare menée par Daniel Malavergne et d’un concert complètement débridé du Tigre des platanes. Comme à son habitude, le quartet toulousain, cet autre animal issu, lui, du remuant collectif Freddy Morezon, n’y est pas allé de main morte, brassant son jazz d’une poigne de rock et de punk. La messe était dite.
L’aventure devait continuer deux semaines durant, le drôle d’équidé poursuivant son épopée vers des scènes et des publics divers. Car Jazzèbre est un festival structurant. L’appellation est officielle et suppose que ses actions s’intègrent dans une politique au-delà de la seule programmation. Les concerts et actions culturelles embarquent ainsi la musique dans des écoles, en prison, dans des EHPAD avec pour principe d’amener la musique auprès de celles et ceux qui ne peuvent se déplacer jusqu’à elle. Ce sont aussi des manières de valoriser le patrimoine local à travers notamment les « mardis d’aqui » qui permettent aux musiciens locaux d’intégrer ce festival qui concrétise plein de promesses culturelles et sociétales.
Si Jazzèbre n’existait pas, il faudrait l’inventer.