Chronique

Archimusic

Pensées pour moi-même

Alors qu’il annonçait officiellement son départ de la compagnie Archimusic pour prendre le poste de directeur de l’Alliance Française aux Comores, Jean-Rémy Guédon, l’historique chef d’orchestre et saxophoniste de l’ensemble, apparaissait dans Pensées pour moi-même, nouvel album du nonette. Sera-ce le dernier, dix-sept ans après 13 Arpents de Malheur, fondateur de cet équilibre solide entre orchestre classique et jazz ? [1] Le lyrisme des soufflants bien portés par la structure bâtie de la contrebasse d’Yves Rousseau et la batterie de David Pouradier Duteil sur « Gloire Posthume » pourrait le laisser croire. Mais dans la voix de Laurence Malherbe, élégante mezzo-soprano invitée pour chanter les phrases de Marc-Aurèle, il convient d’entendre davantage de mystère que de résignation.

Après la noirceur flamboyante de Nietzsche servie par un rappeur, voici les réflexions sur le temps et son usage par un Romain antique, reprises par une chanteuse lyrique qui sait aussi chuchoter quelques phrases. Entre les deux, des postures diverses. Nietzsche n’était pas souverain, Marc-Aurèle ne pouvait envisager le nihilisme ; quelques points communs aussi, notamment cette capacité à concevoir la pensée comme un précepte où l’universalité est centrale et mise en valeur, à l’instar du travail d’ornement du clarinettiste Nicolas Fargeix et du basson de Vincent Reynaud sur « La Nature universelle ». La recette est la même, de Sade à Nietzsche : ponctuer la pensée de l’auteur d’une mise en musique luxueuse apte à prolonger le propos ou plutôt à l’équilibrer. Mais ce qui fonctionnait avec des auteurs sulfureux peut-il prendre avec un empereur stoïcien né en 121 ?

« Le Temps », remarquable morceau qui rappelle la finesse de arrangements de Guédon, répond largement à cette question. Le dialogue entre le hautbois de Vincent Arnoult et la trompette de Fabrice Martinez n’interroge pas seulement l’équilibre de l’orchestre entre jazz et propos plus chambriste, même si c’est la clé de ce morceau qui combine interprétation diaphane et blues grasseyant. Ce qui est en question, c’est justement la pensée stoïcienne : si chaque individualité forme un tout conscient (appelons ça un orchestre), qui permet des audaces stylistiques, créer dans l’instant présent est-il le seul but envisageable ? Guédon et Archimusic répondent affirmativement avec une passion qui s’éparpille parfois dans un verbe omniprésent.

par Franpi Barriaux // Publié le 18 novembre 2018
P.-S. :

[1Il semble que non, la formation a vocation à perdurer.