Scènes

Emotional Landscapes à la Chapelle Corneille (Rouen)

David Chevallier emmène Björk à la Chapelle Corneille


Depuis quelques mois, Rouen s’est doté d’un auditorium dans la chapelle Corneille, magnifique endroit fait de dorures et d’anges où trône une scène circulaire. Réservée aux concerts peu amplifiés, aux musiques classiques ou anciennes ou aux musiques traditionnelles, elle fait le bonheur des mélomanes curieux. Surtout lorsque des projets inclassables s’y nichent, comme ces Emotional Landscapes de David Chevallier. Le guitariste électrique des Pyromanes ? Celui-là même. Mais ici, c’est plutôt de théorbe dont il s’agit. Et de Björk ; enfin… Des deux.

Ce n’est pas la première fois que David Chevallier troque sa familière six-cordes orange pour la lutherie complexe de cet ancêtre. On se souvient, à l’Opéra de Rouen de Sit Fast and Fear Not, où l’on découvrait la viole de gambe d’Atsushi Sakai, par ailleurs violoncelliste du quatuor IXI, et la soprano Anne Magouët, que l’on retrouve parfois aux côtés d’Alban Darche. Mais ici, même si ces fidèles sont là, c’est avec un orchestre typique du XVIIe siècle, sans contrebasse ni saxophones, que Chevallier arrive. Du cornet à bouquin de Judith Pacquier jusqu’à la sacqueboute basse d’Abel Rorhbach, tout l’instrumentarium semble attirer le musicien du côté baroque de la force… Une route déjà largement balisée par son récent Dowland – A Game of Mirrors.

David Chevallier, Keyvan Chemirani © Franpi Barriaux

Rien n’est plus excitant que les chemins de traverse. Lorsqu’Anne Magouët s’empare des phrases d’ « Unravel », l’orchestre les a déjà baignées dans les Funérailles de la Reine Marie de Purcell, qui résonnent avec grâce sur les vieilles pierres. Rien n’est plaqué, le travail d’arrangement est époustouflant et la musique de Björk, instinctive, raffinée, trouve avec cet orchestre une dimension hors du temps que lui conféraient déjà les machines. Il y a de l’émotion, notamment quand avec « Aurora », les tintinnabulis et les pas dans la neige de Vespertine sont remplacés par un dialogue très doux entre le serpent de Volny Hostiou et les percussions de Keyvan Chemirani, qui s’offrent çà et là quelques improvisations remarquées.

Emotional Landscapes © Franpi Barriaux

Dans une interview l’année dernière, David nous parlait de cette aventure sur le répertoire de Björk et sa démarche de déconstruction qui lui permettait de bâtir son propre langage. En rendant l’univers de la chanteuse si intemporel, si personnel, il ne fait que poursuivre la démarche entamée dans un registre dûment estampillé « jazz » avec des moyens différents. Il y reviendra d’ailleurs avec Brubeck, mais qu’importe le flacon ? Traduire autrement la sensualité synthétique de madame Guðmundsdóttir était une gageure ; c’est une parfaite réussite. Reste à convaincre la fée islandaise de laisser ce consort l’enregistrer pour un album. Nature has fixed no limits on our hopes [1]

par Franpi Barriaux // Publié le 15 mai 2016

[1La Nature n’a fixé aucune limite à nos espoirs. Paroles de « Hope » sur l’album Volta (2007).