Nouveau venu parmi les grands orchestres hexagonaux, l’Arteskor Orkestra est de ces formations qui s’inscrivent immédiatement dans une lignée, une filiation. A l’écoute de « Crumpled Face », alors que Stéphane Guillaume prend la tête d’un tentet brillant, seul saxophoniste de simple exercice au milieu d’une armée de cors et de hautbois, on pense d’abord à ce que Jean-Christophe Cholet pouvait proposer lorsqu’il visitait la musique française du début du XXe siècle, mais la boussole s’oriente plus sûrement et durablement vers une version plus chambriste des orchestres de Laurent Cugny ou de Pierre de Bethmann, comparaison qui peut se faire sans rougir. Il ne s’agit pas d’une volonté de se ranger derrière de glorieux aînés, mais de se nourrir d’une vraie dynamique d’orchestre. Une énergie assez sûre d’elle-même qui joue sur la ligne claire et ne refuse pas le raffinement, comme sur « Fast Hope », où le saxophone baryton de Maxime Berton, membre de l’orchestre de Franck Tortiller, trace une route que les autres soufflants agrémentent de maintes enluminures et autant de petites déviations qui n’entament en rien la joliesse du propos.
Laurent Bonnot, le bassiste à l’origine de l’Arteskor, est de ces musiciens qui savent s’entourer. Dans ces premiers albums, notamment Songs for Oscar paru en 2020, on le retrouvait aux côtés de remarquables coloristes comme Gueorgui Kornazov, Ramón López et Marc Copland. Ici, dans ce jeune Arteskor, ce sont de vrais spécialistes du grand format qui sont présents, de Sylvaine Hélary à la flûte (très en verve sur « Hong », le titre central) à Élodie Pasquier à la clarinette, en passant par Balthazar Naturel. Ce dernier, membre par ailleurs du Wanderlust Orchestra, est souvent à la manœuvre dans l’Arteskor. Sur « Shameless Blue », où Bonnot trace une route dégagée à la basse, c’est le hautbois qui s’offre quelques instants de liberté et entraîne tout l’orchestre à un luxe de détails dans un morceau pourtant caréné par une base rythmique solide.
Aux côtés de Bonnot qui signe tous les titres où l’influence de Ravel ne peut être oblitérée (« Winter Scales »), la batterie de Louis Moutin et surtout le piano Manuel Rocheman, entendu dans le Caratini Jazz Ensemble, font front. Le trio rythmique est la base de l’Arteskor, le centre de commande qui s’ouvre ensuite à toutes les ramifications, qui mériteraient parfois qu’on leur laisse davantage de liberté, que l’espace soit moins balisé par la tentation du timbre idéal. On est toujours heureux de saluer un nouvel orchestre dans la famille des grandes formations européennes. Celui-ci s’annonce prometteur par son assemblage de talents et un vrai sens de l’écriture. À suivre avec grand intérêt.