Chronique

M.O.M.

Jowee Omicil (as, ts, ss, cl), François Moutin (b), Louis Moutin (dm)

Label / Distribution : Laborie Jazz

Oublions « The Eddy », cette décevante série porteuse de promesses de jazz pendant le premier confinement. Certes, c’est sur ce tournage que le saxophoniste-clarinettiste canadien d’origine haïtienne désormais parisien Jowee Omicil a rencontré Louis Moutin. Mais, loin des projecteurs du plateau, ils ont convié François Moutin pour une furia créatrice pleine d’énergie et de poésie –« Ballade à deux notes »… quelles notes !

Tout se passe comme si les frangins contrebassiste et batteur, désormais sexagénaires, adoubaient le quadra Omicil dans quelque fraternité jazz intemporelle – « M.O.M Blues », une structure d’évidence pour des chorus flamboyants. Leur science orchestrale sans pareille qui, plus qu’à leur gémellité, doit à leur investissement total au service du jazz, est là pour faire frémir d’extase aussi bien leur compagnon soufflant que l’auditeur.trice du disque : « Caresse » d’une douceur infinie, ou bien « Abandoned Youth », subtile étreinte. Leur capacité à expérimenter tout en conservant un time infaillible a quelque chose de scientifique : on pense ici au jeu « trigonométrique » de François ou encore aux découpages séquentiels de Louis, ainsi qu’à sa maîtrise des harmoniques issues d’une batterie chantante.

Ce trio sonne comme un big band, convoquant l’un de ces riffs possédés dont le contrebassiste est un expert (« Fly With the Wind »). Certainement la maestria d’Omicil sur ses instruments a-t-elle poussé les jumeaux dans des retranchements dont on se doute qu’ils ne peuvent être les derniers. Il ose même jouer des basses sur un solo du maître contrebassiste et se fait lui aussi section d’orchestre, quand il ne convoque pas les esprits d’un Eric Dolphy à la clarinette ou d’un Ornette Coleman aux saxophones, sans oublier un jeu staccato aux airs de flow rappologique : « Street Credibility ». Sa virtuosité créole l’autorise à prendre des risques poétiques qui peuvent fleurer bon la ritournelle mais n’en ont pas moins un souffle ensorcelant, un peu à la manière d’un Albert Ayler.

L’interplay est éminemment ludique : ça se chambre dans un respect infini les uns des autres - « Let’s Talk ». Un trio porteur de promesses et d’envies de mômes, qu’on a hâte de retrouver sous les seuls projecteurs qui comptent, ceux des scènes.