Scènes

Anglet, in memoriam Sylvain Luc

Retour sur l’édition 2024 du festival d’Anglet (dédiée à Sylvain Luc)


Marc Copland, Stéphane Kerecki, Fabrice Moreau © Pierre Vignacq

L’édition 2024 du festival d’Anglet était la première réalisée par Clé de Jazz. L’association, nouvellement née, prend le relais d’ARCAD qui avait jusqu’ici porté le festival sur ses épaules. Des changements certes mais, aux yeux des spectateurs, tout était identique : deux concerts en soirée sur les trois premiers jours et un dimanche après-midi sur l’herbe, si ce n’est que la météo avait obligé les organisateurs à rapatrier les concerts en intérieur.

Marc Copland © Pierre Vignacq

On sent que, d’une année à l’autre, les festivaliers sont pour la plupart des fidèles de ce rendez-vous musical qui clôt l’été et débute l’automne. Ils avaient d’autant plus raison, ces fidèles mélomanes, que l’édition a connu une ouverture magistrale avec le concert de Marc Copland, Stéphane Kerecki et Fabrice Moreau. Là encore, il était question de rendez-vous. D’abord car les dates du trio ne sont pas légion ; ensuite parce que voir jouer Marc Copland est en soi un événement. Le pianiste américain fait en effet partie de ces grandes figures du jazz moderne devenu classique. Mais si l’empreinte historique de Stéphane Kerecki et Fabien Moreau n’est pas la même, leur présence n’était pas surclassée et le trio de trois leaders a déroulé un répertoire où on croisait Bill Evans, Miles Davis ou encore Gary Peacock. Rien de bien neuf, diront certains, sauf que ce fut exécuté de six mains de maître avec, en point d’orgue, la reprise de « Blue in Green » et ce même caractère tout à la fois anguleux et aérien de la version que Copland publia jadis en duo avec Dave Liebman.

En tout cas, devant autant de magnificence, on pouvait légitimement se demander comment les suivants allaient s’en sortir. Or, dès les premières notes, le quartet de Stéphane Guillaume donnait le ton et emmenait le public avec lui. La musique, dans un registre plein de douceur, était au croisement du jazz et du classique auquel ces quatre, en l’occurrence Sedef Erçetin, Maria Papapetropoulou et Antoine Banville en plus du saxophoniste, mélangeaient des musiques turques, grecques ou encore espagnoles.

Flash Pig ouvrait la soirée du lendemain. Le quartet est connu dans la sphère jazzistique. Reste que les frères Sanchez, Florent Nisse et Gautier Garrigue présentaient un projet, le dernier, fort surprenant au regard de leur discographie précédente. Plus sage ? Peut-être. En tout cas, c’est avec beaucoup de classe qu’ils s’étaient approprié le répertoire musical du film « In the Mood for Love ». Le concert s’est terminé avec la reprise du standard « I’m in the Mood for Love » de Jimmy McHugh. Un clin d’œil, certes, mais au-delà de la seule citation, une très belle interprétation. La deuxième partie de la soirée était consacrée au projet « Human Flow » d’Alfio Origlio. Plus électrique, plus « jazz rock » aussi avec un Fender Rhodes sous les mains du claviériste et une stratocaster, fort rare dans le jazz, dans celles de Noé Reine.

Olivier Ker Ourio et Quentin Dujardin © Pierre Vignacq

A l’inverse, c’est un set acoustique qu’Olivier Ker Ourio et Quentin Dujardin présentaient le lendemain. Un concert épuré entre harmonica et guitare nylon. Beaucoup de douceurs et un jeu guitaristique original, mâtiné de touches flamencas et de sonorités proches quelquefois d’une kora, notamment sur « Madagascar ». A la fin de ce concert, une parenthèse émouvante entre un poème écrit et lu par Robert Latxague et un traditionnel basque joué par Marc Tambourindéguy et Olivier Ker Ourio fut dédiée à Sylvain Luc. Un silence collectif en guise de recueillement pour l’enfant du pays l’accompagnait et à l’entracte on pouvait voir que nombre de spectateurs, les yeux rougis, étaient émus de cette dédicace.

La suite était assurée par le quintet d’Antonio Lizana. Le saxophoniste andalous est programmé dans pléthore de salles et de festivals devenant de fait un ambassadeur international de la scène espagnole. Une ambassade qu’il partage avec Daniel Garcia Diego qui émargeait sur ce projet où le flamenco était omniprésent. On retiendra notamment de ce set énergique la prestation époustouflante voix et danse d’El Mawi de Cadiz.

Quant au dimanche dans l’herbe qui clôt chaque année le festival, il avait été rapatrié dans le théâtre. La météo et la boue avaient convaincu l’organisation de transformer cette après-midi bucolique en un indoor. On put y voir Asura 4et, jeune formation de tonnerre qui lorgne du côté du jazz-rock et vainqueur du tremplin Action Jazz 2024, l’impressionnant trio de Patrick-Astrid Defossez et le Big Band Côte Sud, institution de plus de quarante ans d’âge, vieillie dans des fûts gascons drastiquement sélectionnés, dirigée par Pascal Drapeau et présidée par le vert et durable sax ténor PVC, qui présentait un répertoire autour de l’œuvre orchestrale de Quincy Jones et dont on retiendra tout particulièrement le pianiste et rhodiste Vincent « Swing’n not Zorn » Lajus.