Les premiers instants de Acoustic Large Ensemble (ALE), à la fois nom du nouvel orchestre et du nouvel album de Paul Jarret, sont primordiaux pour comprendre où le guitariste nous emmène. Évidemment, les libellés donnent déjà quelques indices, entre la notion d’acoustique et de grand format, mais aussi grâce au titre du premier morceau, « In G », qui laisse entendre une certaine référence à Riley et à la musique minimaliste. On ne saurait se tromper, le propos est une lente et magnifique mise en scène de l’orchestre, de l’instrument esseulé, fragile et plein de tension, jusqu’à la luxuriance collective où la clarinette basse d’Élodie Pasquier offre une remarquable profondeur aux 14 pièces dirigées tout en douceur par le guitariste, sans prédominance aucune. C’est acoustique bien sûr, et parfois aux franges du sensible (« Oscillations ») sur des ostinatos de cordes que l’orchestre vient sculpter avec une grande attention.
La tentation est énorme d’imaginer l’ALE comme une gigantesque orgie de cordes, du violoncelle de Bruno Ducret à l’alto de la décidément talentueuse Maëlle Desbrosses. Mais c’est compter sans la puissance des deux tubas de Fabien Debellefontaine et Fanny Méteier ou les passementeries fines de Jules Boitin au trombone et Hector Lena-Schroll à la trompette. Quant à l’harmonium de Thibault Gomez, son utilité dans la profondeur de l’orchestre est primordiale. « Oscillations » est un rapport de force de chaque instant, une tectonique des plaques où tout mouvement imperceptible a une répercussion. Dans ce disque très abouti, le travail de Jarret est aussi discret qu’efficace ; il laisse des indices sur les directions à prendre, comme cette omniprésence de la nyckelharpa, cet instrument traditionnel suédois qui rappelle ses origines. Jouée par Éléonore Billy, la spécialiste française de l’instrument, c’est la pierre angulaire de l’ALE et son âme. À la fois très impliquée dans le paradigme contemporain (« F & C#m », un tropisme électronique débarrassé de l’électricité) et des couleurs plus folk (« Hymn », le sommet de ce disque).
Avec ALE, Paul Jarret signe un disque d’une rare finesse, qui s’inscrit dans une famille de musiciens français très proches, qu’on entend souvent autour d’Ellinoa, de Robin Antunes à Grégoire Letouvet, capables de transcender une musique inclassable pour en faire une œuvre patiente et sensible. On ne se lasse pas de ce que Jarret nous propose dans « Hymn » et « Anthem » grâce à la simplicité de l’excellence.