Chronique

Ibrahim Maalouf

Diasporas

Ibrahim Maalouf (tp), Alex McMahon (electro), François Lalonde (dm, perc), guest : Vincent Segal (cello)

Label / Distribution : Discograph

Le parcours d’Ibrahim Maalouf, tant dans la vie que dans la musique, a quelque chose d’un peu atypique. Élevé en partie en France et au Liban, qu’il a dû fuir avec ses parents durant la guerre, Maalouf a gardé le goût des contrastes, des rencontres et des amertumes. Son album, Diasporas (au pluriel), est une sorte d’hommage à tous ceux qui ont été, un jour ou l’autre, déplacés à cause de conflits aussi injustes et stupides que cruels.

Quoi de plus normal donc, pour Maalouf, que de débuter le voyage par le bruit du métro pour évoquer ses errements et nous embarquer dans son univers hybride où plusieurs mondes s’entremêlent. Le jeune trompettiste réunit le mystère et le groove, relie la tradition et la contemporanéité dans un jeu souple et virtuose. Grâce à la trompette unique qu’a fabriquée un jour son père (un instrument qui possède un quatrième piston permettant de jouer les quarts de ton) Maalouf insuffle à ses compositions les intonations orientales qui lui sont chères.

Associé au percussionniste Francis Lalonde et à un petit génie de l’électro, Alex McMahon, il extrait de chaque titre l’essence même d’un récit original et sincère. Il exhume ainsi les souvenirs profondément ancrés dans sa mémoire pour les replacer dans un monde bien actuel. Loin de créer une simple juxtaposition de genres, le trompettiste en invente un nouveau. Est-ce de l’ethno-jazz ? De l’électro-jazz ? De l’ambiant-jazz ? Le trompettiste n’a que faire des étiquettes.

Il se permet ainsi de reprendre « Night In Tunisia » (« Missin’ Ya ») et d’en relire l’histoire avec respect et créativité. En rendant hommage à Dizzy Gillespie et en imaginant ce que l’illustre trompettiste américain aurait pu entendre cette nuit-là, Maalouf nous en donne une version moderne, faites de rythmes haletants, de bruits urbains, de foule, de musiques orientales à la fois chaloupées et mystérieuses. Une ambiance énigmatique et excitante entoure le thème et le magnifie presque, si tant est que cela soit possible. Plus loin, il impose une ambiance étrange et fascinante sur « Shadows » avant de se laisser aller à l’improvisation maîtrisée sur « 1925 ». Puis, entre « Diasporas », qui évoque la longue dérive d’une caravane traversant un désert brûlant, et « Hashish », aux envolées brumeuses et légères, il insère un morceau joué uniquement au oud et un autre au kanoun. Une façon pour lui de ponctuer le récit, de lui donner une respiration ou un temps de réflexion. Manière aussi, sans doute, d’ancrer définitivement ses racines. Car Ibrahim Maalouf ne le sait que trop bien : sa musique, comme sa vie, s’enrichit de croisement et de mélanges.

On l’aura compris, même si on peut y trouver mille et une influences venues de toutes parts (Jon Hassel, Amon Tobin, Oum Kalsoum, etc…), Diasporas est un disque unique en son genre qui mérite qu’on lui offre l’hospitalité et que l’on écoute son discours avec attention.