Chronique

Belmondo Family Sextet

Mediterranean Sound

Yvan Belmondo (bs), Stéphane Belmondo (tp , bugle), Lionel Belmondo (ts, arr), Jean-Philippe Sempere (g), Sylvain Romano (b), Jean-Pierre Arnaud (dms).

Label / Distribution : Discograph

La belle affaire de famille ! Voici un disque surgi des profondeurs sanguines et ensoleillées d’une histoire tout en tendresse et en émotion, celle d’un père et ses deux fils célébrant la musique qu’ils aiment par-dessus tout : Yvan, Stéphane et Lionel Belmondo ont attendu le moment idéal, celui où chacun serait prêt, sans « forcer les choses » et surtout sans faire peser sur leurs épaules une inutile pression. Mediterranean Sound est le fruit mûr de cette célébration du jazz qu’ils respirent comme un second oxygène depuis toujours. Du côté paternel, le jazz de velours de la Côte Ouest ; chez les fils, on regarde à l’est, vers le hard bop et ses élans fiévreux. On assiste alors à l’élaboration d’une fusion tranquille des influences avec comme parti pris une esthétique intemporelle – à quelle époque ce diable de disque flambant neuf a-t-il bien pu être enregistré ? – pour un résultat au charme gourmand. Même la « Méditation » signée Jules Massenet, nichée au cœur du disque, et dont la relecture pourrait nous renvoyer a priori au travail plus contemporain des deux frères depuis Hymne au Soleil, bénéficie du traitement sonore et humain appliqué à l’ensemble. En réalité, on est tenté de se dire qu’il faut remonter quelques décennies en arrière pour trouver la bande originale de cette session pas comme les autres. Un temps où la musique s’écoutait sur disques vinyles, qu’on achetait un à un et qu’il était vital d’écouter longuement, jusqu’à les connaître par cœur. La musique ne se perdait pas dans une course effrénée au téléchargement massif, elle s’inoculait.

Les thèmes, choisis par Yvan et arrangés par Lionel, défilent avec grâce (« Alone Together », « Skylark », « Tangerine », « Flamingo », « Groovin’ Higher », …) et nous parlent aussi bien de Pepper Adams et Donald Byrd que de Gerry Mulligan ou Chet Baker. Soutenu par un trio aux petits oignons, qui a l’élégance de marier efficacité et discrétion — Jean-Philippe Sempere (guitare), Sylvain Romano (contrebasse) et Jean-Pierre Arnaud (batterie) —, la tierce Belmondo s’en donne à souffle joie. Car ces trois complices de toujours le disent eux-mêmes : s’ils ont choisi un instrument à vent comme véhicule de leur passion, c’est peut-être en raison de leur besoin de le contrôler totalement, exprimant en cela leur côté mâle méditerranéen, un tant soit peu dominateur. Ce qui leur semble plus facile qu’avec un piano, par exemple. Nul ne leur reprochera la posture malicieusement virile qui a su engendrer cet enfant naturel du swing et du souffle.

Mine de rien, ce sextet familial – entendons par là la famille au sens large, celle qui inclut les amis et toux ceux qu’on s’est choisis [1] – réussit un petit exploit : arrêter le temps et nous plonger dans une ambiance faussement surannée, qu’on croyait reléguée au fin fond de nos mémoires car déjà inscrite dans l’histoire du jazz. Faut-il y voir l’ombre tutélaire de l’école de musique de Sollies-Toucas (dans le Var) où le disque a été enregistré ? Une école de tous les apprentissages pour les frères Belmondo, en des temps où le travail acharné était aussi celui du partage entre les anciens qui donnaient un coup de main aux plus jeunes. Ici toutefois, malgré des apparences trompeuses, pas de nostalgie : il s’agit uniquement de « jouer de la musique pour vivre et de vivre pour jouer de la musique ». Oui, une musique bien vivante, et le mot qui vient aussitôt à l’esprit, dès les premières mesures de « Alone Together », en ouverture du disque, est « heureux ». Parce que rien n’obligeait ces musiciens à enregistrer ce disque ensemble, hormis le plaisir de se retrouver et de partager le plaisir d’une vibration commune. Celle-ci parcourt le disque d’un bout à l’autre et culmine en clôture de Mediteranean Sound, dans toute sa sérénité, sur « Lyne For Lyons » de Gerry Mulligan. Son groove tranquille et la communion solaire de ses instruments ne sont rien d’autre que la transcription d’un amour contagieux.

Mais Belmondo père et fils n’ont pas l’œil en permanence rivé au rétroviseur - ils continuent à découvrir et savent aussi parler d’avenir en se nourrissant de leurs maîtres, au premier rang desquels John Coltrane et Wayne Shorter. On en vient à guetter la génération suivante, qui – si on en croit la vidéo réalisée à l’occasion de la sortie de ce disque – pointe le bout de son nez. En attendant les exploits à venir de ses héritiers, la famille Belmondo vous invite à la rejoindre et son Mediterranean Sound est une excellente occasion de participer à cette belle fête du jazz.

par Denis Desassis // Publié le 11 novembre 2013

[1Le fidèle Christophe Dal Sasso est au mixage et au mastering.