Portrait

Billy Mohler, Los Angeles sinon rien

Le contrebassiste californien renoue avec le jazz.


Billy Mohler @ Robbie Jeffries

Billy Mohler est un musicien éclectique qui n’a pas hésité à s’investir dans le rock commercial. Aujourd’hui, il profite d’un renouveau de la scène de Los Angeles pour diriger un talentueux quartet.

Le contrebassiste Billy Mohler est un enfant de Los Angeles. Passionné de musique, l’idée de jouer d’un instrument lui vient subitement en voyant un copain donner un concert de métal dans son lycée. Ainsi, à l’âge de 15 ans, il commence à prendre des leçons de basse électrique. « C’était la condition imposée par mes parents pour m’acheter cet instrument », explique-t-il. Son père est d’ailleurs un fan de jazz et écoute régulièrement des disques d’Oscar Peterson avec Ray Brown. Initialement, cette musique laisse Mohler plutôt de marbre.

Cela dit, un jour, des camarades de lycée, le batteur Nate Wood et le claviériste Randy Ingram, acceptent de s’essayer à cette musique après les cours. Ils s’exercent sur des morceaux tels que « Killer Joe », « Blue Bossa » ou « Night in Tunisia ». Les choses deviennent sérieuses lorsqu’il s’inscrit au Berklee College of Music de Boston. « À l’époque, je ne cherchais pas à apprendre à jouer un style de musique particulier, dit-il. Je voulais juste jouer de mon instrument du mieux possible. » Durant la première année, il se rend compte que la basse électrique n’est pas idéale pour jouer du jazz classique. Et un déclic se produit en deuxième année lorsque son professeur, Whit Browne, le laisse essayer sa contrebasse. « Le jazz est alors devenu une obsession, car la relation avec l’instrument est organique en raison de l’absence d’ampli », ajoute-t-il.

Billy Mohler @ Robbie Jeffries

À l’issue de son cursus, Mohler retourne en Californie où une bourse lui permet de suivre les cours du Thelonious Monk Institute of Jazz at UCLA. Il y rencontre Herbie Hancock et Wayne Shorter. « Ils n’enseignaient pas à proprement parler, mais être au contact de musiciens d’un tel calibre qui étaient si chaleureux et d’une si grande gentillesse m’a profondément marqué », dit-il. Malheureusement, les temps ne sont pas si excitants pour le jazz à Los Angeles – on est au début des années 2000. « Mes choix se réduisaient à partir pour New York, car d’un point de vue artistique tout ce que je voulais faire se passait là-bas, ou à chercher quelque chose d’autre », déclare-t-il.

Il décide alors de rejoindre un groupe de rock au succès éphémère, The Calling. L’ami d’enfance Nate Wood et son co-locataire Sean Woolstenhulme sont également de l’aventure. Suivent deux ans de tournée avec l’appui d’une grosse maison de disques, RCA. À la dissolution du groupe, il fait encore un an de tournée avec la chanteuse Macy Gray qui vogue sur le succès de son hit « I Try ». Puis il obtient une avance d’EMI pour former son propre groupe, mais au bout de trois mois, l’affaire tombe à l’eau. En 2004, il forme le Jimmy Chamberlin Complex avec l’ancien batteur des Smashing Pumpkins. « J’avais sympathisé avec Jimmy car il aimait Herbie et Wayne et n’arrivait pas à croire que quelqu’un d’autre dans un groupe de rock pouvait aimer cette musique », déclare-t-il. Ensuite, Mohler poursuit sa carrière dans les studios, notamment en tant que producteur.

Billy Mohler @ Robbie Jeffries

En 2010, le vent commence à tourner pour la scène jazz angeleno. Le contrebassiste en attribue le mérite à un club, The Blue Whale (ouvert en 2009) qui fonctionne, selon lui, comme un incubateur. Des musiciens de renommée nationale ou internationale recommencent à jouer dans la ville. « J’en avais un peu marre de passer toutes mes journées dans un studio, avoue-t-il. Je me suis rendu compte de ce que je voulais vraiment faire. » Le batteur Matt Mayhall est le premier à l’inviter à jouer. Puis, c’est au tour du saxophoniste Ben Wendel avec un groupe composé du batteur Walter Smith III et du guitariste Larry Koonse. Ces opportunités lui montrent cependant qu’il a besoin de se remettre à niveau en reprenant une pratique sérieuse de la contrebasse.

En 2016, le mouvement amorcé par The Blue Whale prend de l’ampleur avec l’ouverture d’un autre club, ETA. La programmation met à profit l’afflux de talents venus s’installer dans la Cité des Anges tels que les saxophonistes Chris Speed ou David Binney. Mohler s’y produit pour la première fois en compagnie du guitariste Brandon Seabrook et de Speed. Il finit par former son propre quartet avec ce dernier, l’incontournable Nate Wood à la batterie et Shane Endsley à la trompette, un musicien qu’il connaît depuis plus de 20 ans – avant même que celui-ci ne fasse partie du groupe Kneebody. Le quartet en est déjà à son troisième album en quatre ans. Le dernier, Ultraviolet (Contagious Music), est sorti en 2023.

Encore une fois, le mot organique revient dans la bouche de Billy Mohler lorsqu’il décrit son processus créatif. « Je ne cherche pas à trop analyser, à trop réfléchir, explique-t-il. Il faut qu’il soit question de feeling, d’émotions. Mon écriture doit être sincère et avoir un flot naturel. J’ai pour principe de ne pas répéter avant d’enregistrer, l’objectif étant de capter un moment, une atmosphère. » Et il ne voit pas de contradiction dans le travail de post-production qu’il a réalisé sur l’album. « La source est organique et inaltérée, poursuit-il. J’ajoute simplement une touche pour amplifier la magie. »