Chronique

Bojan Z Tetraband

Humus

Bojan Zulfikarpasic (p), Joshua Roseman (trb), Sebastian Rochford (d), Ruth Goller (b)

Humus, dernier disque du pianiste, porte la marque, l’empreinte musicale de ce dernier : la terre. Sa musique est terrienne, tout comme son univers, sa poésie, son langage. On reconnaît immédiatement le jeu de Bojan Z [1] : une main droite aussi rapide que précise, époustouflante dans les accélérations (« Empty Shell »), aérienne dans les instants d’introspection (« Focus@ » - seul morceau en solo) ; des accords aux consonances grinçantes, des dissonances dans les aigus qui créent une troisième voix non-jouée mais entendue, une sorte de mélodie en trois dimensions ; des thèmes, enfin, toujours chantants, mélancoliques et rageurs à la fois (« August Song » ; « Naturel Song »). Son parcours scénique et discographique, stimulé par une curiosité sans borne pour les musiques des autres, est un patchwork stylistique, certes, mais qui forme un tout.

Cette cohérence est une fois de plus présente ici. Toujours curieux, Bojan Z propose cette fois une orchestration acidulée : Joshua Roseman, tromboniste new-yorkais expert en sourdines, maître du chaos, cuivré et vibrant, qui double les phrases du pianiste et y répond [2]. Sebastian Rochford, batteur et Ruth Goller, bassiste, membres du groupe punk-rock-jazz Acoustic Ladyland forment la rythmique extrêmement précise et funky de ce quartet. Il n’y a qu’à monter les basses et se laisser littéralement porter par la pulsation dépouillée mais indestructible que balance la bassiste (sur « Greedy » notamment, ou sur « N°9 » ), cette pulsation étant soulignée, agrémentée et poussée en avant par le jeu efficace et serré du batteur.

Dans cet univers musical, terreux et métallique, Bojan Z alterne piano et claviers (Rhodes et Xénophone [3]), ambiances funky et binaires (« Swamp Tune » ; « Greedy » ; « Thirst Day ») et solo inspiré (« Focus@ »), et traverse à toute allure quelques tunnels sonores chaotiques (début de « Greedy », fin de « Empty Shell »).

L’enregistrement (impeccable, avec Tessier du Cros derrière la console) s’est fait dans les conditions les plus libres : on joue, on laisse tourner la bande, on choisit ensuite. Cela donne à l’ensemble du disque une énergie également répartie, un son de proximité, une pulsation permanente.

Quel que soit le titre, quelle que soit l’heure, on reconnaît à chaque instant la pâte du pianiste, son inimitable esprit rythmique, monkien, son sens de la mélodie torturée, coupante, ensoleillée.

Bojan Zulfikarpasic avance, continue d’avancer, en laissant dans la terre de belles empreintes visibles. Et Koreni plonge dans l’Humus ! Il n’est pas envisageable, le jour où Bojan dira : Srtcha !

par Matthieu Jouan // Publié le 12 octobre 2009

[1Qui n’est pas l’anagramme de « bon jaz »… quoique !

[2Et n’est pas sans rappeler la période Daniel Casimir sur Sound Suggestion

[3Un Rhodes trafiqué par lui-même pour obtenir des notes différentes, par exemple des quarts de tons.