BruJazzWknd, l’émergence festive 🇧🇪
Trois jours de festival dans les rues de Bruxelles.
La Grand Place de Bruxelles
Le festival annuel change de nom, mais la recette reste la même. Désormais Lotto Brussels Jazz Week-End, parce que financé en grande partie par la loterie nationale, le festival gratuit et festif se déroule la dernière semaine de mai et mobilise une centaine d’artistes (la plupart des musicien·nes belges) sur trois grandes scènes extérieures, quelques estrades dites « busker » dans les rues et une grosse trentaine de bars impliqués dans la programmation.
Cette année, la pluie parfois vraiment insistante a rendu le parcours un peu plus aléatoire que d’habitude. Néanmoins, pendant ces trois jours, on a pu naviguer d’une scène à l’autre, indoor ou outdoor, et découvrir ou redécouvrir un certain nombre de bons groupes.
Un dispositif spécial mis en place par Nancy Jazz Pulsations, Jazz Station et le festival a permis à quelques invité·es professionnel·les du jazz de se retrouver pour des tables rondes, cocktail et autre programme musical. Jazz Up !, c’est le nom, s’intéresse à une esthétique très particulière du jazz, cette « nouvelle vague d’un jazz réinventé par les musiques actuelles (hip hop, house, nu soul) ». Il s’agit de consolider un réseau en Europe de structures qui travaillent, qui vendent, ces groupes. Il y aurait beaucoup à dire sur ce type de cloisonnement esthétique réducteur et sur les discussions qui - entre hommes blancs la plupart du temps - tournent autour de la problématique financière plutôt qu’artistique. D’autant que ce type de jazz qui a émergé à Londres il y a plus d’une décennie déjà, vit grandement sur ses acquis sans véritable confrontation à l’altérité. Mais c’est dansant, c’est propre, ça marche et c’est facile à jouer. Jazz Up ! donc.
- Place de la Bourse © LottoBrusselsJazzWeekEnd
En ce qui concerne les scènes en plein air, la Grand Place historique accueillait la scène Lotto, dont la programmation était supervisée chaque jour par un acteur essentiel du jazz de la capitale : Flagey, Bozar et les Lundis d’Hortense. On a pu y entendre le grand orchestre de la contrebassiste Lara Rosseel (une musicienne présentée lors du #IWD) ou le groupe Dishwasher, tête de file du jazz binaire belge avec l’autre power trio Don Kapot (qui joue place de la Bourse). On y entend l’Orchestra Nazionale Della Luna du saxophoniste Manu Hermia, le groupe Next.Ape mené par le batteur Antoine Pierre ou encore le Camille-Alban Spreng’s ODIL avec la chanteuse Nina Kortekaas et le saxophoniste Tom Bourgeois.
Place de la bourse, ça bastonne sévère. Du groove, du power trio, du punk-jazz, de l’électronique, de la soul. Tout ce qui compte comme groupes dans le genre est venu bruyamment s’exprimer. Et c’est là que le bât blesse, la sonorisation trop forte de cette scène était assez mauvaise pour gâcher le plaisir et même saboter certains concerts. Malheureusement, l’ingénieur du son sur la Grand Place n’était pas meilleur et il a fallu attendre le dimanche avec une autre équipe son pour retrouver des réglages qui mettent en valeur la musique.
- Karen van Schaick © LottoBrusselsJazzWeekEnd
Par chance, la dernière scène, place Sainte-Catherine, avait un son de qualité tout le temps. Sur cette scène ont joué les groupes émergents, ceux repérés par Brussels Jazz Alert, comme HyperContent !, Le Ministère ou HU ! de la saxophoniste Karen Van Schaick.
Hu !, c’est un projet qui porte un sens, une parole féministe et politique. Van Schaick a des choses à dire et elle s’entoure d’excellent·es musicien·nes pour le faire. On y retrouve entre autres le trompettiste Pierre-Antoine Savoyat. Ce programme très expressif et écrit avec un grand sens de la narration a fait sensation (et a écarté les nuages).
On y entend aussi des groupes issus du conservatoire royal, le KCB, c’est ici que se déploie l’émergence.
Au hasard des chemins, on peut tomber sur les petites scènes busker, et écouter Bart Maris, personnage ubuesque à la trompette collée aux lèvres, avec le trio P’tits Cons, une mini fanfare. Ou un duo folk hongrois composé de Sára Bolyki et Petra Várallyay, émouvantes et décalées au pied d’une banque.
Dans les bars, selon l’endroit, l’accès est compliqué, ils sont pleins pour la plupart. En quittant l’hyper centre, on retrouve la pianiste Margaux Vranken en solo au Walvis (avec un clavier électrique) pour quelques compositions et standards finement arrangés. Encore une musicienne belge qui a fait la UNE lors d’une précédente édition de #IWD. Au Boom, café associatif, on entend la saxophoniste Audrey Lauro en trio avec la flûtiste Gobi Drab – qui joue sur une flûte contrebasse carrée Paetzold - et le guitariste Quentin Stokart. Un moment suspendu d’improvisation pure, un nuage.
- VIVA - The Soil
Mais c’est au Roskam qu’on termine la soirée, avec les concerts organisés par la saxophoniste Karen Van Schaick. C’est une personnalité incontournable dont nous reparlerons qui, sortant de scène avec son projet HU !, change de casquette et présente un trio étonnant de deux batteurs et d’un clavier, avec beaucoup d’électronique sur les trois instruments. Il s’agit de VIVA - The Soil, avec YuTing Li, une jeune musicienne aux claviers et laptop qui crée de lentes et longues plages musicales à la houle envoûtante sous lesquelles les deux batteurs Pierre Hurty et Daniel Jonkers forgent un brasier froid. Les deux sets se déroulent devant une salle pleine, avec, en spectateur·rice·s, beaucoup de musicien·ne·s de la scène belge, comme Nabou Claerhout, Lynn Cassiers, Stéphane Galland, Lara Humbert, Amèle Metlini, etc.
Une chose est sûre, c’est qu’avec ce type de festival, sur le modèle de celui de Copenhague, avec un programme pour grandes scènes organisé par la production et la participation des bars pour une programmation riche et fournie, on obtient en quelques jours un aperçu très vivant et à jour de la scène jazz locale, tous styles confondus. À condition, bien sûr, de ne pas s’en tenir au parcours balisé et de naviguer plus ou moins à vue, de scène en scène. Cette année, plus encore que la dernière fois, Bruxelles a su mettre en avant l’ensemble de ses composantes jazz (des plus officielles aux plus underground) pour proposer un beau festival.