Chronique

Manuel Hermia

Freetet

Manuel Hermia (s), Jean-Paul Estievenart (tp), Samuel Blaser (tb), Manolo Cabras (cb), João Lobo (dms)

Label / Distribution : Igloo

Quand le politique sert d’art poétique à la musique. Le free jazz, par son approche libertaire et contestataire, en a fait, on le sait, une des données de sa démarche. Il a permis d’ouvrir la voie à une expression où chaque individualité tient sa responsabilité dans le discours collectif, au risque - et ce risque est savoureux - de bifurcations soudaines, de frottements qui salissent une ligne mélodique et qui, dans le même temps, dynamisent le propos. Le saxophoniste Manuel Hermia s’est donné pour objectif cette même liberté. En offrant aux membres de sa formation la latitude pour faire sonner le répertoire, il leur donne la possibilité de le construire comme ils l’entendent en s’appuyant, avant tout, sur l’idée de collaboratif. « Même en prenant sa liberté, on remplit des fonctions, chacun plusieurs, et tous simultanément, car on doit s’assurer de l’équilibre du tout » indique-t-il dans le livret de présentation.

Rien donc, ici, de chaotique ou même de trop dissonant. À partir de thèmes simples (voire pas de thème du tout), le groupe fait jouer à plein l’interaction, proposant des échanges constants qui chantent la plupart du temps. En la matière, la trompette de Jean-Paul Estievenart et le trombone de Samuel Blaser sont porteurs d’un son éclatant et volubile qui donne de l’entrain au collectif. Le saxophone d’Hermia n’a plus qu’à s’immiscer entre eux pour des mouvements louvoyants qui atténuent et nuancent la force des cuivres.

Les chants et les contrepoints, les rythmiques décalées ou décentrées (Manolo Cabras et João Lobo assurent une pulsation infaillible mais se permettent des dérapages contrôlés là encore stimulants pour l’ensemble du groupe) sont permanents, quoique pas systématiques. Les membres du quintet ne cherchent pas seulement la déconstruction. De fait, leur respect mutuel permet une musique aérée, et ainsi évidente. Une plus grande frontalité emporterait plus aisément l’auditeur, il est vrai ; mais les emportements et la délicatesse, tout comme la reprise finale du Temps des Cerises constituent l’appréciable feuille de route de cette utopie sonore.