Tribune

Ça va jazzer, jazz & symphonie à l’Opéra de Rennes !

Entretien avec Marc Feldman, administrateur général de l’Orchestre Symphonique de Bretagne : jazz et musique symphonique. La première édition du festival « Ça va jazzer ».


Marc Feldman, administrateur général de l’Orchestre symphonique de Bretagne

Poursuivant son parcours d’ouverture au jazz, au blues, aux musiques du monde et à la musique contemporaine, l’Orchestre symphonique de Bretagne, récemment gratifié du label « Orchestre national en région », franchit une nouvelle étape. Il nous propose la première édition de son Festival de jazz symphonique Ça va jazzer. Il accueille en deux jours Naïssam Jalal, Samy Thiébault et Sylvain Rifflet.

Bonjour, Marc Feldman. L’introduction du jazz dans les programmes de l’Orchestre symphonique de Bretagne date pratiquement de votre arrivée en poste ici, en 2011, d’abord dans des événements hors saison, dans la période estivale, puis de plus en plus dans les programmes de saison, particulièrement à partir de votre collaboration avec le saxophoniste et compositeur Guillaume Saint-James. Ma première question sera donc : Quel est votre rapport personnel à la musique de jazz ?

C’est très simple. Je suis new-yorkais. Je suis né dans une ville de jazz et depuis mes premières notes de musique, sans savoir qu’il y avait des catégories appelées « classique » et « jazz », j’ai entendu du jazz. Quand j’ai appris la clarinette, à l’âge de huit ans, dans ma famille on m’a dit : « Tu vas être Benny Goodman ». J’ai appris qui c’était et j’ai été attiré par le jazz. Plus tard, j’ai commencé à faire de la musique « classique » ; je suis quelqu’un qui n’aime pas les catégories, j’étais au Conservatoire à New-York et j’avais plein d’amis qui faisaient du jazz. Moi-même, comme bassoniste, j’en ai fait un peu. Je voyais tout de suite les liens, sans parler de Gershwin, Bernstein et bien d’autres compositeurs américains qui faisaient toujours le lien entre l’orchestre classique et le jazz. J’ai constaté très rapidement qu’il y avait des connivences à plusieurs niveaux. Ensuite, quand on lit un peu l’histoire avec Charlie Parker, Stravinsky etc., on se rend compte qu’il y a beaucoup plus de passerelles qu’on pense.

Festival Ça va jazzer

C’est ainsi que lorsque vous êtes arrivé comme administrateur général de l’Orchestre, il vous est apparu évident que le jazz y avait sa place.

Absolument. Depuis les années 20, surtout en France, un peu en Allemagne et beaucoup aux États-Unis, les compositeurs ont intégré le jazz dans les orchestrations. Qu’on parle de Milhaud, Ravel, Aaron Copland ou Bernstein. Quand j’ai travaillé aux États-Unis, j’ai eu la chance de rencontrer de grands compositeurs de jazz comme Dave Brubeck et son fils Chris.

Déjà dès les années 50-60, Dave composait pour orchestre classique et Chris lui a emboîté le pas ensuite. Je voulais que le public, ici à Rennes, entende cette musique qu’on joue très rarement mais qui, pour moi, fait partie d’un courant majeur dans la musique orchestrale qu’on laissait ou qu’on laisse de côté comme une curiosité.

Et donc, dès mon arrivée et après la rencontre avec Guillaume Saint-James, je me suis dit qu’on allait creuser ça. J’ai vu que le public répondait favorablement à tous nos rendez-vous et je me suis dit : « On va y aller ». Pour moi la chose la plus importante, c’est que le jazz fait partie de la musique savante. Je déteste ce mot mais il n’y en a pas d’autre en français. Pour moi, cette musique fait partie d’un patrimoine qui est maintenant mondial et il faut donc aussi que nos publics, à l’Orchestre symphonique de Bretagne, puissent entendre du jazz chez nous.

Comment voyez-vous la place, le rôle de Grant Llewellyn, votre directeur musical, dans cette démarche ?

Grant est comme moi quelque part. Il est britannique, mais il a passé beaucoup de temps aux États-Unis. Il y a été comme moi, même plus que moi. Moi j’étais dans l’orchestre de Leonard Bernstein à Tanglewood, j’ai donc suivi ses cours de direction mais Grant, lui, était un élève de Bernstein. Je crois que Bernstein a donné le goût de la découverte, de l’ouverture, à tous ses acolytes. Grant Llewellyn est donc un chef ouvert, comme moi. Il a envie de voir cet orchestre prendre sa place en France et dans le monde parce qu’on est un orchestre aujourd’hui un peu unique.

Notre ouverture n’est pas uniquement ponctuelle, nous ne nous contentons pas d’être un lieu où il y a, de temps à autre, quelque chose d’un peu pops,comme on dit en anglais, mais ça fait partie de notre ADN. Au fil de chaque saison, nous proposons des concerts jazz, celtiques, de la musique contemporaine. A Rennes, on a une grande ouverture. Pour Grant et pour moi c’est très important.

Nous nous efforçons aussi d’attirer d’autres chefs d’orchestre qui peuvent diriger ce genre d’œuvres, car ce n’est pas évident. Maintenant, nous avons plusieurs chefs avec nous et nous sommes en train d’en former d’autres. Ils peuvent créer des partitions de musique transversale, comme j’ai dit, entre la musique orchestrale, le jazz et les musiques du monde.

Marc Feldman par Jean-François Picaut

Vous franchissez donc un nouveau pas, les 24 et 25 octobre prochains, en nous proposant la première édition d’un mini-festival de jazz symphonique, sous le titre , peut-être provisoire, de Ça va jazzer

Et c’est vrai, ça jazze un peu. On commence à parler de l’orchestre comme d’une formation qui swingue. Ce n’est pas moi seulement qui le dis et quelques personnes ici à Rennes, c’est le journal Télérama et d’autres journalistes. L’Orchestre commence à être sur le radar du monde du jazz et nous avons une masse critique de jeunes artistes qui s’intéressent à nous.

Nous avons Naïssam Jalal en résidence cette année, avec qui nous allons créer en février sa Symphonie d’un autre monde. Nous allons tourner avec elle toute l’année, en région et au-delà. Pour le mini-festival, elle vient avec son quintette « Rhythms of Resistance » avec lequel nous allons également travailler toute l’année.
Ensuite nous allons avoir Sylvain Rifflet avec ReFocus, un projet qui est né au Théâtre de Cornouaille, Scène nationale de Quimper. C’est le nouveau directeur, Vincent Léandri, qui nous a demandé si nous voulions travailler avec Sylvain. Je connaissais son travail et j’ai dit : « Oui, absolument ». Sylvain nous a fait ReFocus d’après le travail de Stan Getz. C’est vraiment une petite merveille, très bien vue, très jolie, en hommage à Stan.

Enfin Samy Thiébault nous présentera un travail très ambitieux autour de la musique indienne et du jazz symphonique, et bien sûr de ses solos à lui qui sont un peu « coltraniens », si je peux dire. En mélangeant ça avec l’orchestre, il a fait un travail formidable. On l’a enregistré et c’était tellement bien que tous les musiciens de l’orchestre m’ont dit : « Mais Marc, il faut le programmer aussi ». Je crois qu’on a une petite consécration car on a sorti le disque Symphonic Tales (Gaya Music Productions) à peu près en même temps et il a reçu un accueil très favorable dans la presse.

Ce mini-festival montre des talents, de jeunes talents du jazz en France et je suis très content que l’Orchestre soit une ressource pour eux. Ce festival, on va le refaire l’an prochain, c’est un scoop ! On sait où on va après, parce que nous sommes assurés déjà d’avoir Fiona Monbet en résidence avec l’orchestre. Nous avons aussi d’autres projets, c’est une surprise et je ne veux pas les dévoiler maintenant.

Marc Feldman par Jean-François Picaut

Est-ce que le festival de cette année est né de l’opportunité d’avoir rencontré les trois artistes dont vous venez de parler ou est-ce que, de toute façon, vous l’auriez fait ?

Je crois que c’est un tout. Je ne peux pas dire si l’un a précédé l’autre. Depuis des années, nous avons travaillé avec des grands du jazz, parfois du blues : Omar Sosa, Chris Brubeck, Branford Marsalis, Ibrahim Maalouf… On a quand même eu des pointures à cet orchestre. Ça se voit. Chacun m’a dit, et Guillaume Saint-James en premier, que c’est un orchestre qui a appris à swinguer, à jouer autre chose que du classique. Ils sont assez curieux, ils ont voulu aller plus loin.

Je crois que c’est un cumul de tout ça qui fait qu’aujourd’hui beaucoup d’artistes de jazz viennent vers nous. Disons qu’au début, l’orchestre était venu en ressource avec Guillaume, c’était une chose et c’était ce que nous voulions défendre. Mais maintenant, ce sont les artistes eux-mêmes qui, quand ils veulent faire quelque chose entre guillemets un peu « musique transversale » - je préfère ce terme à « crossover » - viennent vers nous. Je pense à Rhiannon Giddens, une artiste de blues celtique qui est venue il y a deux saisons, ou à Samuel Strouk qui veut écrire une nouvelle œuvre pour nous avec des connotations jazz. Nous sommes l’orchestre pour le faire.

Donc je me dis, un festival, un mini-festival pour l’instant, de jazz symphonique, on ne l’a jamais fait, on va le tenter. On va mettre tous nos artistes ensemble sur scène pour montrer toute la panoplie de travail de l’Orchestre. Là, c’est juste deux jours mais qui sait, peut-être qu’à l’avenir ce sera un peu plus. Peut-être grâce à un partenariat avec l’un de nos superbes festivals de jazz locaux… C’est ce que je souhaite. J’ai pris les devants, nous avons créé ce mini-festival, un peu par opportunité, c’est vrai mais c’est la qualité qui va compter. Je crois que le public va pouvoir découvrir la grande qualité de l’avenir du jazz en France.