Caillou
Caillou
Rudy Blas (g), Matthieu Jérôme (kb, Rhodes), Charles Lucas (b), Philippe Gleizes (dms)
Label / Distribution : Soleil Zeuhl
Il faut se méfier des nains de jardin. Toujours. Ils ont l’air guilleret et bonhomme, comme ça, au premier abord, mais quand vient la pénombre, ils prennent un petit air inquiétant, presque sournois. C’est ce qu’évoque la pochette de Caillou, et voici la musique qui en émane. La formation du batteur Philippe Gleizes, fidèle compagnon des aventures de Médéric Collignon, dont nous avions déjà évoqué la puissance sèche au sein de Gleizkrew, est un quartet perclus d’électricité ardente. Mais contrairement aux expériences précédentes du batteur, Caillou délaisse le côté « massif » pour une perpétuelle et flamboyante alternance entre rock et jazz portée par le Rhodes de Mathieu Jérôme et la guitare de Rudy Blas (déjà aperçu au côté de Mahmoud Ahmed). « Païens », signé par le guitariste, suit ce schéma, où l’électricité semble se heurter en tout sens à une rythmique très complexe, malgré les apparences.
Caillou pourrait être la traduction littérale de rock, évidemment. Mais toutes les roches n’ont pas le même minerai. Celui-ci s’est longtemps sédimenté dans le magma en fusion et chauffé au Soleil Zeuhl, jusqu’à en devenir magnétique. Quand on plonge dans le maelström d’un morceau comme « Tomahawk », la batterie de Gleizes instaure un mouvement que la basse grasse de Charles Lucas orne de reflets métalliques quasi irrespirables. Rien n’est jamais acquis dans cette musique polymorphe et houleuse. Très vite, le Rhodes rappelle le quartet à ses origines, puis s’échappe dans une bulle de jazz électrique éventrée par la guitare qui, dans le bruit et la tempête, illumine soudain un Caillou qui se repaît des zones d’ombres.
L’ombre, où « les morts vont vite », est d’ailleurs le thème de « Les Carpates », sans doute le plus intéressant de l’album : si Gleizes signe avec « Victor F. », en début d’album, un hommage à Frankenstein à vous faire rajeunir la Hammer, ce morceau illustre la célèbre scène de l’attelage infernal qui conduit Jonathan Harker à sa perte dans le Bram’s Stoker Dracula de Francis Ford Coppola. Le morceau, par moments irrespirable, nous entraîne dans une troublante dérobade où la guitare de Blas creuse des abysses suffocants. On a donc raison de se méfier des nains de jardin ; mais celui-ci, tout inquiétant qu’il soit, mérite d’orner toute bonne étagère.