Chronique

Cristiano Calcagnile Multikulti Ensemble

Multikulti Cherry On

Cristiano Calcagnile (dms, perc, voc, dir), Paolo Botti (vln, bnj), Gabriele Mitelli (tp, flh), Massimo Falascone (as, bs), Nino Locatelli (bcl, objet), Pasquale Mirra (vib, perc), Gabriele Evangelista (b), Dudu Kouaté (perc, voc)

Label / Distribution : Caligola Records

Il y a une connexion aussi forte entre Don Cherry et l’Afrique qu’il y en a entre le batteur Cristiano Calcagnile et Don Cherry. L’Italien consacre même son Multikulti Ensemble à la perpétuation et à la réflexion autour de l’œuvre du trompettiste : après The Gift of Togetherness, que nous avions évoqué lors d’un focus sur le clarinettiste Nino Locatelli que nous retrouvons ici, voici Multikulti Cherry On au milieu d’un aréopage de la scène italienne, à commencer par le violoniste Paolo Botti, remarquable sur l’ouverture « Cherry On », seul morceau signé par Calcagnile dans ce panorama kaléidoscopique de l’œuvre de Don Cherry. On pensera notamment à l’impressionnant « Moguto Suite », où le percussionniste agrège trois morceaux de Cherry sur des rythmiques impaires. Le choix du Sénégalais Dudu Kouaté, partenaire régulier de Famoudou Don Moye, pour densifier un orchestre où le saxophoniste baryton Massimo Falascone et le contrebassiste Gabriele Evangelista découpent les envolées complexes du batteur, semble ici idéal ; Kouaté chante et joue de nombreuses percussions d’Afrique de l’Ouest à la fois sur « Mopti » et « Togo » parmi trois titres de Old And New Dreams. Bien entendu, parlant d’Afrique, la relation avec le mythique Quartet s’impose, mais est loin d’être la seule, et surtout ne s’enferme jamais.
 
C’est un travail franchement audacieux et méticuleux auquel se livre Calcagnile dans ce disque qui s’offre le temps long, comme pour mieux extraire toute la sève des musiques traditionnelles subsahariennes qui ont nourri le free jazz et tout particulièrement l’œuvre de Don Cherry. On assiste, dans la roborative et centrale « Communion Suite », à un véritable jeu de piste intertextuel entre toutes les époques du trompettiste. Si le batteur est à la manœuvre, il laisse beaucoup de place à son orchestre : sans surprise, le célèbre « Complete Communion » est un dialogue très ouvert où la trompette de Gabriele Mitelli (Pipeline 8) règle une fusion de soufflants foncièrement turbulente bien que respectueuse de nombreuses grammaires. On passe sans sourciller, et même avec euphorie, du jazz des origines à des partis pris bien plus contemporains dans le dialogue entre Dudu Kouaté et le beau jeu de vibraphone de Pasquale Mirra. En témoigne également la présence, dans la « East Suite » d’une intrépide liaison entre le « East » acerbe de l’album Blue Lake et un « Terry’s Tune » de Terry Riley.
 
On pourrait songer que Multikulti Cherry On pétarade en tous sens, se laisse porter par un flux enthousiaste qui se suffirait à lui-même, mais Cristiano Calcagnile plante ses rhizomes bien plus profondément. On comprend bien entendu son amour inconditionnel d’Ed Blackwell qui se perçoit tout au long de l’album, mais la tâche du Multikulti Ensemble est bien de démontrer tout la vivacité et la puissance de Don Cherry sans en faire cependant une œuvre patrimoniale. Dans cet octet, le propos est bien vivant, actuel, palpitant. Il est chaleureux et excitant jusque dans les citations d’un idiome colemanien nécessairement omniprésent (« Happy House », mais disséminé un peu partout, notamment dans le jeu de ce diable de Locatelli). Une très grande réussite.

par Franpi Barriaux // Publié le 26 septembre 2021
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