Canicule à Montréal : le jazz est hot
Compte rendu du 39e Festival International de Jazz de Montréal 2018
Pendant dix journées intensives et faisant fi d’une canicule exceptionnelle, le cœur de Montréal a brillé de mille feux aux rythmes et sons de multiple Jazz, Blues ou musiques latines pour le plus grand plaisir de festivaliers venus de tous horizons.
Le succès international du F.I.J.M est le fruit d’un savoir-faire et d’un savoir être sans égal : une organisation logistique de gestion de l’espace urbain où ponctualité, sécurité, accueil, propreté sont les maîtres mots depuis quatre décennies afin de favoriser au mieux une ambiance courtoise, fluide et sereine de publics tout âges confondus.
Rien n’est laissé au hasard et une foule d’assistants oeuvrent sans relâche aux quatre coins d’une vaste zone piétonne entièrement dédiée aux spectacles. On peut souligner dans le souci du bien-être de chacun, l’opération spécifique d’écoute aux plus vulnérables au sein d’espaces de soutien.
Chaque festivalier gâté par cette pléthore de propositions dont 2/3 de concerts gratuits détaillés dans un cahier gratuit de plus de 150 pages, laisse « le bon temps rouler » flânant dans les boutiques souvenirs, écoutant allongé sur des chaises longues ou sur l’herbe, entre les aires d’animations et jeux pour les enfants, les aires de repos et les fraicheurs bienvenues des jets d’eaux et autres vaporisateurs.
Par contre, il est bien difficile d’assister aux concerts sur les scènes extérieures avec écrans géants, et en même temps aux divers concerts en salles climatisées, programmés aux mêmes créneaux horaires. Certains soirs, les choix s’avèrent cornéliens.
- Festival de Montréal
Cette année le Festival avait mis l’accent sur six remises de prix dont le prix « Oscar Peterson » au chanteur guitariste Ben Harper [1], le prix « Antonio Carlos Jobim » au percussionniste Zakir Hussain [2], le prix « Montréal Jazz Festival Spirit » au nonchalant guitariste Ry Cooder et le prix « Miles Davis » au groupe Bela Fleck and the Flecktones moins connu sous nos latitudes.
La salle Gésu (dans une église) a fait la part belle à un jazz des États-Unis gorgé de blues en proposant des cartes blanches à des musiciens. L’organiste John Medeski a présenté trois concerts dont un avec les batteurs Mark Guiliana et Billy Martin. Mark Guiliana a ensuite proposé sa sélection de concerts. Trois concerts ont été consacrés à la furie groove de l’organiste Dr. Lonnie Smith en trio de choc avec Jonathan Kreisberg à la guitare et Johnathan Blake à la batterie, trio commun aux différentes formations proposées.
Cette même salle Gesu propose, le soir, une programmation plus intime « Jazz dans la nuit » avec successivement l’iconoclaste Marc Ribot chanteur guitariste dans un répertoire engagé de chants de résistance,le trompettiste Théo Croker, le saxophoniste alto David Binney bien soutenu par ses énergiques et jeunes musiciens Luca Mendoza au piano, Logan Kane à la basse et Nate Wood à la batterie et en avant dernière soirée le pianiste israélien Shai Mastro en trio avec Jorge Roeder,contrebasse et Ziv Ravitz,batterie. Une parfaite osmose d’écoute, d’improvisation interactive et de recherche poétique.
Enfin pour clore en douceur le Festival, le pianiste américain Jamie Saft en solo, avec ses renversements et arrangements aériens de mélodies de Miles Davis à Stevie Wonder en passant par Bob Dylan.
Il faut remettre une mention spéciale de chassé-croisé aux « serial players » Chris Potter, Marc Ribot et Mark Guiliana.
Chris Potter, saxophoniste ténor de Chicago a décoché les flèches de ses solos puissants à trois occasions : en trio avec Dave Holland et Zakir Hussain, puis avec le trio furioso de Dr. Lonnie Smith et enfin en invité surprise de David Binney.
Marc Ribot a prouvé une fois de plus l’étendue de son talent en répondant de ses chorus enfiévrés à John Medeski et, le lendemain, avec son trio en revisitant [3] des chants de résistance comme « Bella Ciao » ralenti et déterminé, le point levé, en fustigeant Trump et appelant à la compassion pour tous les migrants. Mark Guiliana a joué trois soirées résolument différentes dont un concert avec son amie, la vocaliste Gretchen Parlato à la voix ténue qui se fait instrument.
Les amoureux du funk fusion se sont régalés au Mtelus avec Snarky Puppy mené par le guitariste Michael League (la foule de fans reprenait en chœurs les titres de Cucha Vulcha) et dans une moindre mesure deux jours plus tard avec Cory Henry & the Funk Apostles.
- Herbie Hancock. Photo 2L2N Léa Lucille
L’une des plus prestigieuses salles, la salle Wilfrid Pelletier a accueilli Herbie Hancock, facétieux, s’amusant à étonner son public avec James Genus, (contrebasse), Lionel Loueke (guitares) et Trever Lawrence (batterie).
Toujours à l’écoute de toutes des évolutions du jazz, Herbie Hancock, 78 ans mais plus jeune que jamais, a offert un long rappel sautillant avec son synthé portable puis a échangé des chaleureuses poignées de main à une salle en délire dès la reprise de « Cantaloupe Island ». En première partie, l’américain Thundercat bassiste au look étrange à dessein, avait chauffé la salle avec sa voix haut perchée et ses compositions mêlant hip-hop, électro, R&B et fusion.
Laurent de Wilde avec son New Monk trio (Jérôme Regard, contrebasse et Donald Kontomanou batterie) a inauguré avec ses recherches et arrangements la série de concerts à la Cinquième Salle.
À l’Astral, petite salle intime de la Maison du Jazz (bâtiment accueillant une médiathèque Jazz et les services de presse) le brésilien Vinícius Cantuária a étonné les fans de bossa nova traditionnelle.
Terminons par la programmation « Jazz Beat » de la salle à l’italienne Ludger-Duvernay du Monument National : une dream team volcaniquele Mike Stern/Randy Brecker Band, le duo à la forte cohésion et maestria enlevée Vincent Peirani / Émile Parisien, ont tous deux impressionné le public.
Steve Kühn, l’ancien enfant prodige au parcours atypique venait célébrer son 80e anniversaire et a terminé le rappel en chantant un émouvant blues de sa composition.
Il y avait aussi l’énigmatique Mélanie De Biasio, musicienne chanteuse à l’univers inclassable, qui a fait fuir quelques personnes mais a terminé en standing ovation. Et pour finir, comme une machine à remonter le temps, les pionniers « So British » Soft Machine [4] ont joué d’anciennes et nouvelles compositions dans la même veine pour une salle de fans qui attendaient ce moment depuis 44 ans. Un jeune au premier rang, au look et gestuelles de hard métal, partait en transes à chaque solo écorché, prouvant à lui seul que l’héritage des premiers aventuriers de la fusion rock et jazz n’est pas prêt de s’éteindre, même si ce style semble largement distancé par d’autres métissages harmoniques et rythmiques actuels.
- Festival de Montréal
Au final, pour ce marathon de plus de 500 concerts répartis en sept scènes extérieures et treize salles aux acoustiques parfaites, le pari est réussi pour les organisateurs dont le sympathique omniprésent André Ménard vice-président et cofondateur de l’événement avec Alain Simard.
Seule ombre au tableau, l’organisation du F.I.J.M. a préféré annuler une série de représentations du spectacle « SLAV », autour de l’esclavage, suite aux tumultueuses polémiques entre une communauté noire blessée et les soutiens aux artistes créateurs. Mais en dehors de cette regrettable affaire, les concerts à guichets fermés et le fort taux de fréquentation confirment largement la confiance des publics, des sponsors et des soutiens culturels fidèles.
Les Québécois, communauté plurielle ouverte, solidaire, festive et conviviale, rivalisent et redoublent d’inventivité à chaque anniversaire et se préparent déjà à de nouveaux défis pour la 40e édition du 27 Juin au 7 juillet 2019.