Chronique

Cédric Hanriot

Time Is Color

Cédric Hanriot (p, sound design, kb), Bertrand Béruard (elb), Élie Martin-Charrière (dms, perc) + Days (voc), Braxton Cook (as), Jason Palmer (tp).

Label / Distribution : Morphosis

On ne pourra pas taxer Citizen Jazz de suivisme lorsqu’il souligne les qualités de Time Is Color, le nouveau disque du pianiste Cédric Hanriot, qui vient d’être récemment adoubé par un Herbie Hancock conquis par l’écoute d’une musique aux couleurs d’un jazz résolument contemporain. Parce que voilà en effet plus de quinze ans que ce musicien lorrain est sous les radars de notre magazine. Souvenez-vous : il y eut cette rencontre au printemps 2007, en compagnie de son complice de toujours, le bassiste Bertrand Béruard, pour un entretien qui pouvait à cette époque faire office de carte de visite. Peu de temps après, ce fut la sortie de Electrify My Soul, unique album de leur projet commun Frogenstein. Le temps a passé, notre homme est parti faire un petit tour du côté de la Berklee School Of Music de Boston, dont il est revenu enrichi de nouvelles expériences et de belles rencontres, notamment celles de John Patitucci et Terri Lyne Carrington, tous deux présents sur son premier album en son nom, French Stories. Et au cours des dix dernières années, Cédric Hanriot n’a pas manqué de faire valoir son talent aux côtés de quelques grands noms : outre Hancock cité un peu plus haut, Diane Reeves, Robert Glasper, Gregory Porter, Donny McCaslin, Esperanza Spalding, Meshell Nedegeocello ou encore Minino Garay. De prestigieux compagnonnages et de beaux voyages aussi. Qui lui ont inspiré une création mariant musique et image qu’il continue de faire vivre sur scène, Polaroïd Songs.

Chercheur de sons, sound designer, adepte du modelage des textures (comme le montrait son association expérimentale KS2 avec Franck Agulhon sur l’album Day en 2018), mais aussi pianiste libre et amoureux des musiques populaires (chanson française notamment), Cédric Hanriot prouve, s’il en était besoin, avec son nouvel album, qu’il ne cesse d’explorer, d’accomplir un travail visant à élaborer avec la plus grande attention les nuances qui définiront au mieux un univers musical teinté à la fois de jazz et de musiques urbaines, par un langage très personnel où la mélodie est constamment présente au cœur d’une pulsation de chaque instant et d’échappées improvisées. Time Is Color est à cet égard une forme d’accomplissement, un manifeste synesthésique où les compositions du pianiste mêlent groove et formes plus contemplatives, avec un soin presque maniaque apporté à la définition d’un son sophistiqué et à la préservation de ce qui s’apparente fort au battement d’un cœur. Ceci pour bien mentionner le fait que cette musique n’est jamais désincarnée, bien au contraire. Cédric Hanriot peut compter pour mener à bien cette aventure sur la présence du fidèle Bertrand Béruard (l’ami de vingt ans) et d’un jeune musicien, repéré notamment aux côtés de Pierrick Pédron, le batteur Élie Martin-Charrière (qui vient de publier un réjouissant Réunion). Des invités sont conviés à la fête, dont le rappeur de Chicago, Days, qui a écrit les textes de plusieurs compositions, et qui délivre un flow impeccable en phase avec le balancement des rêveries du pianiste. On n’oubliera pas de mentionner le saxophoniste Braxton Cook et le trompettiste Jason Palmer, chacun présent sur un titre. Ni même de noter une double reprise de Nirvana et Massive Attack (« Come As You Are / Teardrop ») venant rappeler l’ouverture d’une musique soumise à l’influence heureuse de courants multiples. Autant d’atouts qui font de Time Is Color un disque des plus séduisants, aussi bien du fait de sa modernité que par la richesse de ses inspirations.