Chronique

Chloé Cailleton & Nathalie Darche

Quart d’heure américain

Chloé Cailleton (voc), Nathalie Darche (p).

Label / Distribution : Pépin & plume

Elisa Mercoeur a une porte à son nom dans le beau jardin des plantes de Nantes, preuve à elle seule que l’écrivaine ligérienne du XVIIIe siècle, à l’histoire heurtée et au rayonnement parisien, est passée à la postérité. Classée aisément parmi les Romantiques, les textes de Mercoeur se prêtent à des lieder imaginaires qu’il conviendrait d’inventer ; une tâche dont la pianiste Nathalie Darche au jeu très concertant et profondément délié s’acquitte avec un certain délice. Penchons-nous sur « Rêverie », et cette phrase ajustée par la chanteuse Chloé Cailleton, « Le souffle d’aujourd’hui flétrit la fleur d’hier ». Elle dit tout de ce que les deux musiciennes souhaitent évoquer dans ce disque à l’élégance hors du temps, à la douceur perpétuelle : des bouquets séchés et odorants découverts dans de vieilles malles oubliées et pleines de secrets.

On avait déjà entendu la pianiste de l’Orphicube et du Mirifique Orchestra en duo avec Carine Llobet pour un très beau Pétrole. La collaboration avec Chloé Cailleton est ancienne et frappée du sceau de l’amitié. La complicité entre les deux artistes et cet univers très musqué trouve sa plénitude dans « Demain », que Chloé Cailleton met en scène. Elle travaille la poésie comme on le ferait d’un métal précieux. Avec ce toucher délicieusement impressionniste du piano, on est proche de l’univers que les deux femmes avaient su instaurer dans le chaleureux Dandy Dandie, cette lumière tamisée des aventures nocturnes et des jeux tendres.

Le quart d’heure américain, cette pratique surannée des bals où l’on décide unilatéralement que ce sont les filles qui invitent [1], est un charmant clin d’œil de Chloé Cailleton et Nathalie Darche à la destinée de Mercoeur, talentueuse poétesse rangée un peu trop vite dans les profondeurs de la littérature de boudoir, emportée à 25 ans par la tuberculose, fille de l’assistance publique et néanmoins autrice farouchement indépendante et d’une grande modernité. Le duo lui rend un vibrant hommage.

par Franpi Barriaux // Publié le 3 novembre 2024
P.-S. :

[1Les autres quarts d’heure restant donc, a priori, la propriété exclusive du patriarcat.