Chronique

Dandy Dandie

Hypnos & Morphée

Alban Darche (ts, as, ss, comp), Chloé Cailleton (voc), Nathalie Darche (p), Geoffroy Tamisier (tp)

Label / Distribution : Yolk Records

La douceur. Un voile qui s’agite au gré du vent, entre la trompette tout en clair-obscur de Geoffroy Tamisier et les basses, serrées comme une broderie en fil de soie, du piano de Nathalie Darche. On entame Hypnos et Morphée dans une bouffée onirique, un climat duveteux. Le premier morceau, « Snake », paraît par moment sombre et inquiétant, avant de s’éclairer de lune. La voix de Chloé Cailleton, d’abord lointaine, se faufile entre la trompette et le ténor d’Alban Darche qui se prend à conter une histoire qui se passerait de mots. Les mots ici sont une musique comme une autre, des flacons d’ivresse que Cailleton distille avec un certain détachement. Dans « Opium », plus loin, c’est à Edgar Allan Poe qu’elle fait appel, et quand s’insinue la substance, même sans la brûlure intense, on comprend que ces poésies sont des prétextes charnels à un hymne à la nuit et à ses secrets, où tout n’est que luxe, calme et volupté. Même quand tout implose en une profusion de couleurs. Ce n’est pas « Brumes et Pluies », inspiré de Baudelaire dans un puissant ostinato de piano comme des volutes de fumée épaisse, qui dira le contraire.

Malgré la direction nouvelle que prend la musique d’Alban Darche dans ce nouvel album en quartet, on a le sentiment d’être en terre familière ; cela tient sans doute à la grande proximité des membres de l’orchestre, évidemment, mais d’autres ingrédients disséminés dans ce que le saxophoniste conçoit comme le brouillon d’un rêve. La trompette et la voix qui se conjuguent sur « Hypnos & Morphée » et se transforment en un flottement abstrait du piano, une superposition de calques qui permettent de façonner des images… On a le sentiment que cette musique découle des petites fêtes nocturnes de l’Orphicube, et se poursuit lorsque les lumières s’éteignent, lorsque l’on range les reliefs et que d’autres histoires se trament. Des caresses, des rires, quelques larmes… Alban Darche se livre peut-être comme jamais, proche en tout cas de Brut ou Demi-Sec dans l’intention, dans « Un endroit merveilleux » où la petite mécanique à l’œuvre dans l’Orphicube reprend au lointain quelque service dans un univers comme au repos. Engoncé dans le songe, les références habituelles à Tim Burton laissent place à Bergman. On dérive à la recherche des fraises sauvages.

Et puis, au milieu de ce rêve, il y a Chloé Cailleton. On pense à beaucoup de références en l’écoutant : la nuit d’Elise Caron, le Verlaine de Jeanne Added qui offre d’ailleurs un très beau « Madeline » en forme de brillant oxymore et quelques lieder romantiques sous-jacents. Mais c’est bien la chanteuse du Vanneau Huppé qui porte ces textes et ce climat de toute sa personnalité, dans un dédale référentiel qui permet à Alban Darche de dessiner son portrait à l’eau-forte. Si on la pensait légère et guillerette, on en découvre la face plus vénéneuse, drapée de velours épais. Elle porte ce projet du saxophoniste avec une simplicité qui n’empêche pas la puissance. Son instrument-voix fait merveille dans le jeu de voiles et le palais des glaces permanent que dessine « Brumes et Pluies » , lorsqu’il s’agit de se fondre dans le timbre des soufflants pour mieux rejaillir. Hypnos et Morphée est un doux rêve et un temps suspendu. « Viens, je vais te montrer quelque chose », semble nous dire le quartet tout au long de ce songe. On les suit sans discuter, durablement charmés.