Chronique

Chris Jennings Quartet

Chris Jennings Quartet

Pierre Perchaud (ac g) Manu Codjia (el g) Chris Jennings (cb) Patrick Goraguer (dms)

Label / Distribution : Promise Land

Pour son premier disque en tant que leader, Chris Jennings a choisi de s’entourer de deux guitaristes et d’un batteur pour un répertoire principalement basé sur ses propres compositions. Il lève ainsi le voile sur un univers musical qu’il développe depuis de nombreuses années par le biais de différentes formations ; on ne peut que s’en réjouir. Sa musique prend forme autour d’une contrebasse ample à la pulsation entraînante, porteuse de mélodies délicates. Accrocheuses, celles-ci sont parfaitement exploitées par Pierre Perchaud et Manu Codjia tandis que Patrick Goraguer se charge d’y apposer ses rythmes avec la légèreté du rêveur qui regarde ailleurs. Saluons ce tandem de guitaristes inattendu, leur créativité, leur savoir-faire tout entier à la disposition du groupe, mais surtout leur manière de mettre constamment l’autre en valeur. Pertinent et très mélodique dans les chorus, chacun déploie un riche jeu harmonique lorsqu’il s’agit de colorer les interventions de son complice ; les sonorités acoustiques (notes de cristal, accords boisés) et électriques (nappes vaporeuses, notes suspendues) des guitares participent largement à l’ambiance singulière de l’album.

Le répertoire compte cinq compositions personnelles, auxquelles viennent s’ajouter une composition de Perchaud, « Glüg », dont il a déjà livré une version très différente, plus amère mais tout aussi belle, sur son propre premier album (Par quatre chemins), une reprise du « Windows » de Chick Corea (tiré du mythique Now He Sings, Now He Sobs) et un titre improvisé, (« August »), où la sensibilité des quatre musiciens s’épanouit dans un contexte moins cadré mais avec autant de bonheur. On y entend des artistes qui savent prendre le temps de construire un propos collectif en faisant fi de toute préoccupation individualiste. Ce n’est pas un hasard si Chris Jennings rappelle ici deux musiciens avec qui il a l’habitude de jouer [1]. Mais Manu Codjia, s’il peut être exubérant et mettre en forme à lui seul des parties musicales chahutées et complexes, sait aussi (souvent) faire preuve d’une grande discrétion, se fondre et enrichir la palette sonore des parties mélodiques et peindre des toiles de fond impressionnistes. Il en fait une belle démonstration ici en apposant son univers moelleux et ses fulgurances à une formation qui, apparemment, n’attendait que lui.

Distribuée, partagée, la musique circule entre les quatre hommes qui s’entendent et s’écoutent. L’articulation entre les thèmes, les chorus et les parties collectivement construites est judicieuse, et à la réécoute on n’a jamais le sentiment que les solos sont programmés, obligatoires. Que ce soit dans l’agencement des titres ou l’écriture des thèmes, le travail de composition suscite l’intérêt. Il suffit de faire un tour sur le site de de Chris Jennings pour s’apercevoir qu’il a une heureuse tendance à écouter et rejouer ce qui se dans les ailleurs du sud - qui, condensés dans un très beau « Riyaz », donnent aussi « Windows » une couleur latine -, mais aussi des ailleurs du nord, là où les espaces sont plus vastes, comme sur « Trieste Klok », un titre qui date d’une dizaine d’années initialement composé pour son quintette à cordes, ou « His Cottage In The Country » et ses échanges doux comme un été indien. Cette appropriation de musiques « traditionnelles », ces influences du monde, donnent de la cohérence à l’ensemble car elles sont bien intégrées dans le jeu du quartet et tiennent de l’évocation des sentiments du voyageur plus que d’une description formelle des paysages.

On tient là l’une des grandes forces de l’album : le quartet de Chris Jennings joue son propre voyage, crée ses propres décors, vastes mais chaleureux, baignés d’une lumière dorée et pourvus de reliefs qui ne cachent aucun horizon.

par Olivier Acosta // Publié le 18 avril 2011

[1Outre un duo avec Perchaud, il forme aussi avec lui un trio avec Leon Parker ; par ailleurs, il joue avec Goraguer au sein du trio JMG, et tous deux ont accompagné Lee Konitz dans son quartet avec Giovanni Ceccarelli.