Chronique

Nguyên Lê Quartet

Streams

Nguyên Lê (g), John Hadfield (dms), Chris Jennings (b), Illya Amar (vib).

Label / Distribution : ACT

Il est presque amusant de constater que Nguyên Lê est parfois obligé d’expliquer qu’il est un jazzman, comme si une telle affirmation pouvait être mise en doute et qu’il lui fallait se justifier. Peut-être parce que la multiplicité de ses expériences depuis plus de 35 ans, à commencer par l’histoire du groupe Ultramarine dans les années 80, ainsi que son appel incessant aux musiques du monde (Inde, Maghreb, Viêt-Nam…) font de lui un musicien nomade et œcuménique qui ne se laisse pas facilement ranger dans une catégorie particulière. Tant mieux pour lui d’ailleurs… Ajoutez à cela son amour profond pour le rock en général et Jimi Hendrix en particulier et vous obtiendrez un guitariste affranchi des barrières stylistiques. Purple, Celebrating The Music Of Jimi Hendrix est d’ailleurs l’un de ses plus grands succès et ses Songs Of Freedom ou bien encore sa célébration de The Dark Side Of The Moon de Pink Floyd sous la direction de Michael Gibbs attestent de son ouverture d’esprit. Le guitariste a su démontrer qu’il suivait un chemin étoilé et qu’il n’avait besoin de personne pour transcender sa virtuosité en passion dévorante pour le chant. Le chant de sa guitare…

Mais voilà, parfois la forme peut masquer le fond, au diable les étiquettes de toute façon… Sauf que Nguyên Lê choisit cette fois une formule plus classiquement jazz en s’entourant de trois musiciens dont la présence ne doit rien au hasard : Illya Amar et lui se connaissent sur le bout des doigts, pour des raisons d’ordre familial et depuis la plus tendre enfance du vibraphoniste qui vit plus que quiconque au cœur de la musique de son beau-père. Quant au canadien Chris Jennings, il est de longue date un fan et son entrée dans le quartet semble naturelle. C’est d’ailleurs par l’entremise du contrebassiste que le batteur John Hadfield, un autre amoureux des musiques du monde, est venu se glisser comme le quatrième membre du quartet.

Voici donc Streams, une référence supplémentaire du catalogue Act (et sa charte graphique sui generis) qui se présente comme un recueil de mélodies soignées fourmillant d’éclats lumineux. La complicité – peut-être faudrait-il même évoquer l’idée d’intrication – de la guitare et du vibraphone est un pur plaisir, au point qu’on s’étonne que tous deux ne se soient pas côtoyés plus tôt. De son côté Chris Jennings rayonne, ses prises de parole sont intenses et, osons le mot, amoureuses (comme sur « 6h55 » par exemple), on ressent physiquement son désir d’être là, présent et attentif. John Hadfield déploie un jeu multicolore, sur le fil tendu d’une expression alliant puissance et légèreté. Nguyên Lê, leader qui sait ne pas trop envahir l’espace, affirme ses qualités de compositeur en alignant une série de thèmes qu’on a tout de suite envie de fredonner, telle la délicieuse « Mazurka » ou l’arythmique « Hippocampus », pas loin de faire penser au Soft Machine période Allan Holdsworth. Cette apparente facilité est pour lui un terrain propice au déploiement d’un jeu identifiable entre tous, alternant énergie rock (« Swing A Ming », « The Single Orange ») et douceur (« Subtle Body »), dans un répertoire original où se croisent tous les langages qu’il sait parler depuis longtemps, comme autant d’invitations à un voyage sans cesse renouvelé (« Bamiyan », « Sawira »).

En anglais, « streams » signifie « courants ». Il aurait été difficile de choisir un mot qui témoigne avec autant d’acuité de toutes les influences qui traversent le monde en couleurs de Nguyên Lê. Pour lui, la musique – bien au-delà de son exécution toujours brillante – est avant toute chose affaire de rencontres. Si le mot n’avait été galvaudé à l’aune d’un jazz rock désincarné en des temps désormais lointains, on aurait volontiers évoqué l’idée de « fusion ». Dans ces conditions, pourquoi ne pas suggérer celui « d’effusion » ?