Portrait

Clara Lai, pianiste pulsatile

Rencontre avec la pianiste espagnole qui fait parler d’elle de l’autre côté des Pyrénées.


Clara Lai est née en 1985 à Huesca, ville moyenne paisible plantée au pied des Pyrénées aragonaises, d’une mère espagnole et d’un père italien. « Je ne viens pas d’une famille de musiciens. Mes parents ne jouent d’aucun instrument. Ma mère était infirmière et mon père a eu plusieurs métiers tout au long de sa vie : ouvrier du bâtiment, maçon, chauffeur de bus entre autres. Mais je me souviens que la musique était très présente à la maison. Mes parents écoutaient beaucoup de musiques différentes et la maison était, pour moi, un lieu plein de créativité et de curiosité. »

Clara Lai © Ernest Abentin

À l’âge de huit ans, elle commence à étudier la musique et le piano dans une école de musique associative puis au conservatoire de sa ville natale. « Vers mes 15 ans et parallèlement à la musique que je jouais au conservatoire, j’écoutais de la musique punk et rock. » Puis elle part étudier le piano classique et contemporain au Pays Basque, d’abord à San Sebastián puis au Conservatorio Superior de Música de Navarra à Pampelune. « A l’époque, je me souviens d’avoir été fascinée par la musique de certains compositeurs comme John Cage, Toru Takemitsu, Sofia Gubaidulina, Karen Tanaka, Ligeti, Messiaen. »

Il y a une scène jazz et de musique improvisée très active et très dynamique à Barcelone


C’est en partant s’installer à Lisbonne quelques années qu’elle découvre le jazz et l’improvisation. « Quand j’ai commencé à écouter du jazz, Thelonious Monk a été l’un des premiers musiciens que j’ai découverts et sa musique m’a beaucoup influencée à cette époque. » De retour en Espagne, à Barcelone, elle entame des études de piano jazz à l’ESMUC (Escola Superior de Música de Catalunya). Elle vit toujours aujourd’hui dans la capitale catalane. « Il y a une scène jazz et de musique improvisée très active et très dynamique à Barcelone. Assez récemment, elle s’est considérablement étoffée. Toutes les semaines, des concerts sont programmés dans différentes petites salles et il y a vraiment plein de musiciens merveilleux qui font de la super musique. Je pense que le fait de vivre et de jouer avec ces musiciens à Barcelone influence ma façon de faire de la musique aussi bien sur le plan de l’improvisation que de la composition. » Quand on lui demande qui trouve grâce à ses oreilles aujourd’hui, elle répond : « Ces dernières années, j’ai beaucoup écouté des musiciens comme Craig Taborn, Ingrid Laubrock, Tom Rainey, Susana Santos Silva, Magda Mayas, Àlex Reviriego, Kris Davis, Tyshawn Sorey ou Dame Area. »

En 2016, elle sort son premier album, Haikus, en solo, sur le label barcelonais Discordian Records. « C’est un album dont la musique s’inspire des haïkus japonais. À cette époque, j’en lisais beaucoup et j’ai été touchée par l’immense beauté de cette poésie. Je voulais expérimenter l’idée de faire de la musique avec un même format simple, des morceaux courts avec très peu d’informations, essayer de simuler des atmosphères et des sensations similaires à celles que j’avais en lisant ces poèmes. L’album mêle composition et improvisation. »
Parallèlement, elle se consacre à ses autres projets, notamment son duo avec le batteur Joan Moll. « Avec Joan, nous nous connaissons et nous jouons ensemble depuis mon arrivée à Barcelone il y a presque 8 ans. Tout au long de ces années, nous avons joué ensemble dans plein de contextes différents. Fin 2019, nous avons commencé à jouer de la musique originale en duo. Permanente Impermanencia (sorti en 2021) est le résultat de notre première année ensemble. Le titre de l’album fait référence au concept de l’instantanéité, à la recherche de l’éphémère dans notre musique, et notamment en concert. » Dans sa musique, Clara Lai apporte d’ailleurs une grande attention au rythme et la batterie en est un élément central, comme le prouve un autre enregistrement réalisé avec son groupe RIU composé de Laia Vallès et du batteur Pep Mula. « J’aime vraiment jouer avec des batteurs ! Non seulement à cause de l’aspect rythmique mais aussi à cause de toutes les possibilités de timbres et de textures que peut proposer cet instrument. »

Clara Lai © Ramon Ferrandis

2022 commence sur les chapeaux de roues pour Clara Lai. En effet, depuis le début de l’année, on entend beaucoup parler de la pianiste. En janvier, elle sortait Creciente (sur le label Underpool), captation d’un concert donné à l’Estival de Jazz d’Igualada avec un nouveau quartet dans lequel on retrouve le trompettiste Iván González, son complice Joan Moll mais également le saxophoniste catalan Albert Cirera. « J’ai rencontré Albert lors de mon passage à Lisbonne. Je l’ai beaucoup vu et entendu jouer dans différents endroits cette année-là. Nous avons commencé à jouer ensemble lorsque je suis revenue m’installer à Barcelone il y a un an. » Quelques mois plus tard sortait, sur le label Phonogram Unit, l’album Common Ground du saxophoniste José Lencastre auquel la pianiste participe. « Ce fut une grande expérience. Depuis que j’ai quitté Lisbonne, j’y reviens régulièrement pour jouer. J’ai rencontré José Lencastre il y a environ un an. En novembre 2021, je suis allée au Portugal pour jouer avec son quintet, en compagnie du trompettiste João Almeida, du contrebassiste Gonçalo Almeida et du batteur João Lencastre, au Salão Brazil à Coimbra. Nous avons aussi joué ensemble plusieurs fois à Lisbonne avec d’autres musiciens présents au même moment. L’album Common Ground est issu d’un de ces concerts : outre José et moi, il y avait également Carlos Zingaro au violon, Gonçalo Almeida et João Sousa à la batterie. Nous avons fait l’enregistrement de l’album le jour même du concert, quelques heures avant. C’était une très belle séance et j’en garde un très bon souvenir. » Cet album est l’occasion de rappeler les liens forts qui unissent les scènes hispanique et lisboète et qui engendrent des collaborations souvent fécondes. « J’admire la scène portugaise, c’est un lieu d’une immense créativité et d’un dynamisme artistique incroyable qui compte tant de merveilleux musiciens. »

Aujourd’hui, Clara Lai semble être à un tournant de sa carrière de musicienne. Elle est de plus en plus exposée et multiplie les rencontres et les projets. Son souhait pour le futur : « Continuer à explorer de nouvelles musiques et jouer, autant que possible, avec les groupes dont je fais partie. » Elle prépare actuellement un album en duo avec le guitariste électrique Ferran Fages baptisé Slight Deform. Elle compose également de la musique pour son trio avec le contrebassiste Àlex Reviriego et le batteur Oriol Roca.