Entretien

João Almeida, trompettiste précoce

Rencontre avec le jeune trompettiste portugais.

Dans la galaxie des trompettistes portugais, on connaissait Sei Miguel, Luís Vicente ou Susana Santos Silva. Un petit nouveau de 24 ans pointe aujourd’hui le bout de son nez. Discret, fidèle et éclectique, João Almeida construit peu à peu, au travers d’une déjà riche discographie et de collaborations passionnantes, une œuvre remarquable. Découverte.

- On vous connaît assez peu en France. Pouvez-vous vous présenter, ainsi que votre musique ?

Je m’appelle João Almeida, j’ai 24 ans, je suis trompettiste et je viens de Lisbonne. Je pense que je pourrais qualifier la musique que j’enregistre comme du jazz, du free jazz ou de la musique expérimentale, mais encore une fois, cela a-t-il une signification aujourd’hui ?

- Quelles sont vos grandes influences musicales ? De quel musicien ou de quelle esthétique vous sentez vous proche aujourd’hui ?

C’est amusant de penser à mes influences musicales. Il y a deux ou trois ans, cela aurait été plus simple pour moi d’y répondre ! Mon premier contact avec la musique, je le dois à mon père. Il aime tous les styles de musique. La première chose qu’il m’a fait écouter lorsque j’avais 6 ans est Obituary, un groupe de death metal. Après cela, j’ai commencé à m’intéresser à la musique classique, principalement Mahler, Bruckner, puis Debussy, Messiaen, Ligeti. Quelques années plus tard, j’ai découvert le jazz (toujours grâce à mon père) et le premier musicien de jazz que j’ai entendu était Charles Mingus. Sont-ils mes influences musicales majeures ? Peut-être.

Aujourd’hui je me sens proche de beaucoup de musiciens différents et pas d’une esthétique particulière, mais je pourrais citer quelques noms : Susana Santos Silva, Yaw Tembe, Norberto Lobo, Akira Sakata, Nate Wooley, Mazen Kerbaj, Rob Mazurek, Don Cherry, Ken Vandermark, Paal Nilssen-Love, Drew McDowall, Steve Reich, Morton Subotnick, Terry Riley, Sun Ra, Alvin Lucier et d’autres…

João Almeida Vera Marmelo
João Almeida Vera Marmelo

- Vous êtes né et vivez toujours à Lisbonne. Est-ce une ville inspirante pour un musicien ?

Je pense que oui : il y a beaucoup de grands musiciens et de grands artistes à Lisbonne et être en contact avec toutes ces personnes est une bénédiction pour moi.

- La scène improvisée portugaise est foisonnante et passionnante. Elle est en constante ébullition ces dernières années. Comment vivez-vous ce phénomène ? Est-ce que cela vous stimule ?

J’essaie au maximum de rencontrer les gens qui m’intéressent, avec qui j’ai envie de jouer, de travailler. Cela me pousse à créer de nouveaux groupes et à essayer d’aller plus loin en me challengeant en tant que musicien.

- Vous semblez privilégier les rencontres en petit comité (duo, trio). Est-ce un choix ?

Oui, complètement. Les petits groupes permettent une relation plus intime avec les musiciens et en même temps, ça permet de garder tout le monde « sur ses gardes ». J’aimerais expérimenter la musique avec de plus grands groupes dans un avenir proche.

- Vous faites également partie de plusieurs groupes (Chão Maior, Fragoso Quinteto). Parlez-nous de ces diverses expériences…

Fragoso Quinteto a été mon premier groupe de jazz. Le contrebassiste leader, João Fragoso, m’avait invité à participer à une jam session avec le guitariste João Carreiro, le batteur João Lopes Pereira à l’époque (remplacé plus tard par Miguel Rodrigues) et le vétéran Albert Cirera. Je pense que c’était l’un des groupes où j’ai le plus appris, un très bon groupe pour une très belle musique. Malheureusement, nous n’avons pas joué ensemble depuis environ deux, trois ans. Peut-être cela se reproduira-t-il à l’avenir, qui sait ?

Chão Maior est un sextet dirigé par le trompettiste Yaw Tembe avec Leonor Arnaut (voix), Yuri Antunes (trombone), Norberto Lobo (guitare) et Ricardo Martins (batterie). J’ai rencontré Yaw en jouant dans les rues de Lisbonne, puis quelques années plus tard nous avons fréquenté la même école et nous nous sommes rapprochés. Lors de sa dernière année à l’école, nous avons évoqué l’idée de faire partie d’un groupe ensemble et quelques mois plus tard, il a monté ce groupe. Je peux affirmer aujourd’hui que c’est l’un des meilleurs groupes (sinon le meilleur) dans lequel je joue. Yaw est une personne incroyable, leader, compositeur, trompettiste, et j’aime vraiment travailler avec lui et les autres musiciens du groupe.

- En parallèle, vous menez un travail en solitaire autour du son. Vous avez enregistré plusieurs albums solo. Parlez nous de vos expériences solitaires. Vous semblez constamment en recherche ? Je me trompe ?
 
Oui, c’est une recherche sans fin. Les possibilités sont immenses. J’ai commencé à expérimenter la trompette en travaillant avec Peter Evans et en écoutant sa musique, et la musique de Nate Wooley, Susana Santos Silva, Axel Dörner, Mazen Kerbaj, Greg Kelley aussi. Après avoir acquis une certaine aisance en utilisant plusieurs techniques étendues, j’ai décidé de les intégrer dans ma propre musique et de les enregistrer. Je travaille toujours à développer ces techniques, à en apprendre toujours davantage et à continuer à découvrir de nouveaux trompettistes que je ne connaissais pas (comme Brad Henkel, Jacob Wick, Ethan Marks, Davy Lazar) et qui m’inspirent.
Après cela, j’ai découvert le monde des synthétiseurs modulaires et du field recording et j’ai décidé d’expérimenter cela aussi !

- Vous publiez la plupart de votre musique sur votre propre label JARECORDS. Quand avez vous choisi de créer ce label ? Pour quelles raisons ?

J’ai décidé de créer JARECORDS pour mettre en avant mon travail et ce que je fais avec d’autres musiciens. J’ai envoyé certains de ces albums à d’autres maisons de disques, mais personne n’a jamais été intéressé, alors j’ai décidé de le faire moi-même. Je suis aujourd’hui assez curieux de voir où cela me mènera.

- Vous entretenez une relation forte avec votre homonyme le contrebassiste Gonçalo Almeida (d’ailleurs, avez-vous un lien de parenté ?). Vous formez un duo, AL !, et un trio avec le batteur João Lobo. Parlez-nous de votre collaboration.

Nous ne sommes pas parents, peut-être des cousins ​​très éloignés ? (Rires). J’ai rencontré Gonçalo lors d’un double concert à la salle Zaratan à Lisbonne. Je jouais en trio avec Pedro Melo Alves et Péter Ajtai, un contrebassiste hongrois ; Gonçalo jouait avec le batteur Vasco Furtado et le guitariste Luís Lopes. Après les concerts, nous avons parlé un peu et il a évoqué le fait de faire un groupe ensemble, les « Almeidas ». Lors du premier confinement il est revenu vers moi et nous avons fait quelques enregistrements ensemble tout en étant loin l’un de l’autre (NDLR : Gonçalo Almeida vit à Rotterdam). Puis il est venu à Lisbonne et nous avons fait un concert à la salle SMUP. C’était la première fois que nous jouions ensemble, mais j’avais l’impression, au contraire, que cela faisait des années. Ce concert a été enregistré et nous essayons actuellement de trouver un label qui soit prêt à le sortir.

- Parlez-nous de votre projet en duo avec Pedro Melo Alves. Vous sortez d’une résidence artistique, c’est bien ça ? Un album est-il en préparation ?

Nous avons fait une résidence au mois de mai et nous avons enregistré la musique.

- Vous faites partie également du nouveau projet de Rodrigo Amado, Refraction Quartet. Racontez-nous votre rencontre.

J’ai rencontré Rodrigo Amado par l’intermédiaire du contrebassiste Hernâni Faustino. Rodrigo était en résidence avec son Motion Trio (en compagnie du violoncelliste Miguel Mira et du batteur Gabriel Ferrandini) augmenté de Trevor Watts. Il avait invité tout un tas de musiciens (dont je faisais partie) à se joindre à eux. Ce fut la première fois que nous jouions ensemble. Après ça, j’ai fait quelques répétitions avec le Motion Trio et Rodrigo a eu l’idée de ce quartet avec Hernâni, moi et le batteur João Valinho, qu’il a baptisé le Refraction Quartet. Je suis très impatient de faire des concerts avec ce groupe.

- D’autres projets vous occupent actuellement : le Medusa Unit de Ricardo Jacinto, votre duo LUMP. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

J’ai rencontré Ricardo par l’intermédiaire de Yaw Tembe. Medusa Unit est un projet fascinant dans lequel le son et l’installation fonctionnent en synergie. Ricardo est génial et tout le groupe (Nuno Morão, Yaw Tembe, Violeta Azevedo, Angélica Salvi, Eleonor Picas et Alvaro Rosso) est composé de personnes vraiment spéciales et sensibles ! J’ai vraiment de la chance de les avoir rencontrés et de jouer avec eux.

LUMP est un duo avec la chanteuse Mariana Dionísio où nous explorons les combinaisons et les interactions possibles entre la trompette et la voix. Nous pensons enregistrer un album cette année.

- J’ai également entendu dire que vous aviez un projet avec le guitariste Marcelo dos Reis ?

Ce n’est pas vraiment un projet au long cours mais plutôt une opportunité de jouer ensemble. Nous avions un concert prévu avec Albert Cirera, le contrebassiste Alvaro Rosso et João Valinho. João a suggéré que nous invitions Marcelo. Nous avons joué à l’Igreja do Espírito Santo, à Caldas da Rainha. La soirée était organisée par une super association, Grêmio Caldense, et le concert était super ! Nous l’avons enregistré. Il sortira prochainement.

- D’autres projets en cours (CD, Concerts) ?

Quelques-uns en fait ! Cet été est sorti sur Clean Feed un album d’un quartet appelé GARFO. J’y joue en compagnie de Bernardo Tinoco au saxophone ténor, João Fragoso à la contrebasse et João Sousa à la batterie. Je fais également partie du groupe du chanteur Nazaré da Silva qui vient de sortir un premier album, « Gingko » sur Robalo Music Records. Nous avons quelques dates prévues pour la fin de cette année et le début de 2022. Je joue aussi dans le nouveau groupe imaginé par le guitariste Norberto Lobo appelé LUCIFÉCIT et nous avons déjà fait quelques concerts à Setúbal et à Lisbonne. En 2022, il y aura quelques sorties de disques : un quintette dirigé par le pianiste Rodrigo Pinheiro sur Phonogram Unit et le premier album d’un groupe que je dirige appelé PEACHFUZZ (avec Norberto Lobo et João Lopes Pereira à la batterie). Il sortira en février 2022 sur Silent Water Records, le label belge dirigé par Giovanni Di Domenico, pour lequel j’essaie actuellement de monter une tournée en Europe. Pour finir, je vais bientôt enregistrer le duo LUMP, avec la chanteuse Mariana Dionísio.