Scènes

Dave Douglas, entre patrimoine et modernité


Depuis le début de sa carrière, Dave Douglas mène de front initiatives originales et groupes prolongeant l’histoire du jazz. Ces deux facettes se complètent, se nourrissent mutuellement, comme s’il puisait dans la relecture du patrimoine une source d’inspiration inépuisable vers de nouveaux horizons, et s’appropriait ce qui a été pour mieux le transcender et le prolonger. [1].) Aussi ne pouvait-il pas passer à côté du quartet »section rythmique contrebasse/batterie + trompette/saxophone". Inspiré à la fois par Old and New Dreams de Don Cherry et Dewey Redman, et par une certaine orthodoxie, ce groupe est l’occasion pour lui de travailler un langage résolument ancré dans l’histoire. Ici, pas de recherche sur la forme, comme avec le quintet à cordes ou Charms Of The Night Sky, mais un bonheur de chaque instant : pouvoir s’appuyer sur James Genus et Ben Perowsky pour prendre des solos enragés, ou jouer des contrepoints passionnants avec Chris Potter, qui n’a peut-être jamais été aussi bon qu’ici.

Chris Potter © P. Audoux/Vues Sur Scènes

Une sorte de retour aux sources pour mieux repartir à l’assaut de musiques toujours nouvelles. Les deux albums de ce groupe n’ont rien de révolutionnaire mais restent caractéristiques de Douglas : bien entouré, il sait tirer le meilleur de ses partenaires parce qu’il leur offre des conditions d’expression et un matériau réellement intéressants. Cette aventure de courte durée lui a permis de réinvestir ce champ de l’histoire et d’y puiser de nombreuses idées pour l’avenir.

En 2002 Douglas se lance dans une nouvelle entreprise. Grand admirateur de Miles Davis, il entame une relecture de son quintet du tournant des années 1960/1970, celui de Filles de Kilimanjaro et In A Silent Way. Le nouveau groupe comprend Uri Caine au Fender Rhodes, Chris Potter au saxophone ténor, James Genus à la contrebasse et Clarence Penn à la batterie (seul nouveau venu dans l’univers de Douglas).

Clarence Penn © P. Audoux/Vues Sur Scènes

Le premier album, The Infinite, a malheureusement un peu de mal à prendre ses distances avec Miles Davis. Douglas donne l’impression d’être dépassé par l’ampleur de la tâche. Le second, Strange Liberation, est marqué par la présence d’un invité prestigieux, Bill Frisell, et c’est grâce à lui qu’il est plus réussi : la musique s’affranchit de l’ombre tutélaire, la guitare apportant une orientation plus blues, voire rock. Est-ce le titre qui donne cette impression ? Pas sûr ; en tous cas cette deuxième tentative va permettre l’envol du quintet. En 2005, Dave Douglas publie sur son propre label, Greenleaf Music, un double Live At The Bimhuis sur lequel Rick Margitza remplace Chris Potter au ténor. Le groupe semble libéré de tout poids historique et le nouveau venu apporte un jeu plus libre, plus léger que Potter (très marqué par les ténors be bop et hard bop). Mais ce n’est qu’une étape : le véritable chef-d’œuvre naît en 2006 avec l’album studio Meaning & Mystery, qui marque le début d’une collaboration entre Dave Douglas et le saxophoniste et flûtiste Donny McCaslin. Ce dernier, ici aux saxophones ténor et soprano, semble être le compagnon idéal. Construction des soli impressionnante, technique sans faille au service de la musique, McCaslin est injustement méconnu. Au sein de ce quintet, sur le nouveau répertoire, il est « chez lui » et habite magnifiquement la musique de Douglas. Les contrepoints entre les deux soufflants sont étonnants. Tout au long du disque, Genus est omniprésent, tout comme Caine et Penn.

Ce nouvel équipage semble parti pour durer longtemps. Douglas est si heureux avec lui qu’il se lance un nouveau défi : durant une semaine, le quintet se produit au Jazz Standard de New York, en décembre 2006. Les douze sets sont enregistrés et mis en ligne sur le site de Greenleaf Music en moins de 24 heures. Un tour de force mais surtout un vrai bonheur pour les amoureux du quintet, qui découvrent ainsi le concert de la veille… où qu’ils se trouvent dans le monde ! Quand on sait qu’il est rare de disposer d’un enregistrement datant de moins de six mois…

Dave Douglas Quintet © P. Audoux/Vues sur Scènes

Dave Douglas continue à tourner avec son quintet, sa principale formation. La nouveauté, en 2009, vient du nouveau programme créé en Allemagne en janvier : le quintet joue avec un Big Band la suite Delighted States. A suivre ! [2] Enfin, il est très impliqué dans un groupe qui s’inscrit dans la tradition, par l’instrumentation et le répertoire, des fameux all-stars du jazz (« Jazz At The Philharmonic, par exemple ») : le « San Francisco Jazz Collective ».

Membre depuis 2007, au côté notamment de Miguel Zenon, Renee Rosnes, Matt Penman ou Joe Lovano, il participe activement aux propositions de cet orchestre prestigieux qui rend tous les ans hommage à une figure historique. Après Monk et Wayne Shorter, 2009 est consacré à McCoy Tyner. Chaque musicien arrange des morceaux de l’ancien pianiste de Coltrane et compose en outre une ou plusieurs pièces. Tous les ans, la formation sillonne le globe et publie un enregistrement. Douglas, qui semble y prendre beaucoup de plaisir, apporte des compositions passionnantes (telle sa « San Francisco Suite » de 2007). Il faut dire que toutes les conditions sont réunies : l’aspect « hommage » qui l’a toujours attiré, une instrumentation originale (vibraphone, multiples soufflants) et large qui lui permet de développer ses talents de compositeur, et les rencontres avec de grandes pointures du jazz contemporain. Une expérience qui, comme souvent, l’a sans doute inspiré pour Delighted Stars, sa pièce pour Big Band. [3]

par Julien Gros-Burdet // Publié le 21 septembre 2008

[1Cette « catégorie » de liens entre passé et avenir comprend nombre de groupes tels que les hommages rendus en sextet à Wayne Shorter, Booker Little et Mary Lou Williams, mais également les projets actuels autour de Don Cherry. (Voir "Les hommages de Dave Douglas« .

[2Voir Les projets grand format de Dave Douglas.

[3Voir Les projets grand format de Dave Douglas.